Meta et Twitter : à l’époque de la modération woke

Si vous faîtes partie de ceux qui respirent mieux sur X depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, vous ne serez pas étonné d’apprendre que la plateforme avait élaboré un système de réduction de la visibilité des comptes de droite. C’est ce que révèlent les « Twitter files », ces documents transmis par Elon Musk à des journalistes indépendants après son rachat du réseau social. De même que les comptes anti-woke étaient étroitement surveillés par les employés les plus haut-placés de Twitter, les médecins et citoyens hostiles aux mesures gouvernementales durant la pandémie de COVID-19 ont fait l’objet de mesures de censure ou ont tout simplement été bannis. Des méthodes qui ont été poussées jusqu’à l’absurde puisque la première puissance mondiale a même essayé de faire supprimer un mème de Leonardo DiCaprio.

Anatomie des deux plus grandes fabriques d’opinion sur internet.




Peu après l’élection de Donald Trump, Mark Zuckerberg a suscité la stupeur en publiant le 7 janvier 2025 sur Facebook une vidéo dans laquelle il annonce la fin de son système de vérification des faits, pour le remplacer par le système d’Elon Musk sur la plateforme X, qui mobilise l’intelligence collective avec un système de notes sourcées évaluées par les utilisateurs. Le programme consistait jusqu’alors en un partenariat avec des médias et des organisations spécialisées dans la vérification des faits. Ils étaient environ 80, accrédités par le Réseau international de vérification des faits, à produire des articles rémunérés, puis utilisés par Meta pour renvoyer les utilisateurs de ses plateformes (Facebook, Instagram, Whatsapp) vers ces articles et réduire la visibilité des contenus jugés non-fiables.


Les contenus les plus graves et explicitement illégaux continuent néanmoins d'être supprimés par des filtres automatiques, assure le PDG de Meta. Les propos moins graves et potentiellement vexatoires peuvent quant à eux être signalés par les utilisateurs, afin de donner lieu à une modération individuelle et prudente, au lieu d’être passé au peigne fin des filtres automatiques. Zuckerberg admet que moins de contenus haineux seront certes supprimés ; mais c’est un prix à payer pour éviter que les différents points de vue exprimés soient arbitrairement qualifiés comme tels et supprimés par des filtres automatiques trop restrictifs.


Sans surprise, l’annonce a provoqué la panique des médias et autres vérificateurs de faits professionnels, qui ont été prompts à dénoncer un alignement pro-Trump et un renoncement à modérer tout contenu haineux et illégal. « La plus grande plateforme sociale occidentale ne combattra plus les fausses informations et les tentatives de détournement des élections, pas plus que le racisme ou l'homophobie, au nom d'une liberté d'expression totale », écrit Le Point. « Depuis l’élection de Donald Trump, le patron de Meta a multiplié les changements pour courtiser le futur président américain, se rapprochant ainsi d’Elon Musk », estime BFMTV. Pire, cette décision pourrait faire tomber la démocratie et ramener l’humanité dans les ténèbres. « En engageant Meta et ses 4 milliards d’abonnés aux côtés de Trump et de Musk dans la ‘lutte contre les régulations’, Mark Zuckerberg dévoile son visage anti-démocratique », clame une tribune dans Libération. Une autre, publiée par le Monde, affirme que « le ralliement du patron de Meta, Mark Zuckerberg, à Donald Trump avant son retour à la Maison Blanche cloue le cercueil d’un Web un temps rêvé comme outil émancipateur, au service de la connaissance et de l’humanisme ».


L’heure serait grave et funeste, Mark Zuckerberg ayant vendu son âme au diable par pur opportunisme politique et entrepreneurial. Mais les choses sont plus compliquées. Meta comme Twitter ont bien pratiqué la censure, non seulement sous la pression du gouvernement, mais surtout par le biais de leurs employés, majoritairement politisés à gauche.



Mark Zuckerberg, entre pragmatisme et convictions

Les convictions politiques de Zuckerberg, longtemps perçu plutôt comme progressiste, restent à ce jour un mystère, le PDG de Meta s’étant abstenu d’exprimer clairement ses opinions. Vu tantôt comme un opportuniste, tantôt comme un chef d’entreprise pragmatique, il a toujours essayé de maintenir une certaine neutralité. Il ne semble pas néanmoins adhérer corps et âme à la vision néoféministe d’une masculinité éminemment toxique. Invité dans le podcast du célèbre libertarien Joe Rogan, le 10 janvier 2025, seulement quelques jours après l’annonce de la refonte du système de modération de Meta, Mark Zuckerberg avait ainsi déploré une féminisation des entreprises : « La société a beaucoup [d’énergie masculine] mais je pense que les entreprises essaient de s’en éloigner. [...] Je pense qu’avoir une culture qui valorise un peu plus l’agression a ses mérites ». Il n’en fallait pas plus pour le voir qualifié de masculiniste en puissance. 


Sans aller jusqu’à le marquer au fer rouge du féminisme, ces commentaires ne sont à vrai dire pas anodins quand on sait qu’avant de lancer Facebook, Zuckerberg avait créé Facemash, un site dont le principe était de noter le physique des étudiantes de l’université de Harvard, dont il avait volé les « facebooks », des annuaires recensant les noms et les photos des étudiants. On était encore loin de l’époque où le groupe Meta installerait des tampons dans les toilettes pour hommes de ses locaux, une période aujourd’hui révolue, tout comme les programmes DEI de l’entreprise.

Il serait évidemment faux de prétendre que le revirement de Mark Zuckerberg ne comporte pas de dimension politique. En 2021, suite à l’assaut du Capitole, Facebook avait supprimé le compte de Donald Trump et les tensions s’étaient multipliées entre les deux hommes. L’ancien président avait alors porté plainte contre le groupe Meta et son fondateur, jurant de faire mettre Zuckerberg derrière les barreaux pour le restant de ses jours ; un litige résolu en janvier 2025 avec un dédommagement de 25 millions de dollars par l’entreprise. Mark Zuckerberg espère par ailleurs convaincre le président américain de l’aider à faire abandonner des poursuites contre le groupe Meta pour pratiques anticoncurrentielles.

Mais ne rappeler que ces faits, c’est oublier les exigences de censure de l’administration Biden durant la période du COVID-19, révélées en août 2024 par Mark Zuckerberg dans une lettre au Républicain Jim Jordan, président de la Commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis. Des accusations par ailleurs réitérées face à Joe Rogan : « Ces gens de l’administration Biden appelaient notre équipe et leur criaient dessus en poussant des jurons ».



Pressions de l’administration Biden durant le COVID-19

Le gouvernement n’a jamais démenti les accusations, même s’il en a minimisé l’ampleur autoritaire dénoncée par le PDG de Meta : « Au moment où il était confronté à une épidémie meurtrière, le gouvernement a encouragé des mesures responsables afin de préserver la santé et la sécurité du public. Notre position a été claire et cohérente : nous pensons que les entreprises technologiques et les autres acteurs du privé doivent prendre en considération les effets que leurs actions ont sur le peuple américain, tout en prenant des décisions indépendantes sur les informations qu’ils présentent. » Certaines demandes ont été rejetées par Meta, provoquant des tensions publiques palpables lorsque le président Joe Biden était allé jusqu’à accuser les réseaux sociaux de « tuer des gens ».


En 2023, les États du Missouri et de la Louisiane ont tous les deux tenté de porter l’affaire devant la justice, avant que la Cour suprême ne rejette la procédure, au motif que les parties parties, constituées par un groupe d’utilisateurs, et les deux États accusateurs n’avaient pas légalement le droit de réclamer une enquête sur les agissements de l’administration Biden. Elle a aussi estimé, lors de la plaidoirie des plaignants, que les preuves ne suffisaient pas à démontrer que l’intervention de l’administration Biden était directement responsable de la suppression du contenu de ce groupe d’utilisateurs. Les éléments présentés posent néanmoins question.


En 2022, des emails entre l’administration et le groupe Meta ont été obtenus et rendus publics par les deux procureurs généraux des États de Louisiane et du Missouri. Les demandes très insistantes de la Maison Blanche ciblaient des contenus hostiles au vaccin, notamment des récits faits par les utilisateurs des effets secondaires du médicament, mais aussi de l’humour et des comptes parodiques : Andy Slavitt, conseiller de Joe Biden sur la gestion de la crise sanitaire, se montre à un moment « outré » que Meta n’accepte pas de supprimer un mème de Leonardo Dicaprio utilisé pour pointer du doigt (littéralement) la dangerosité du vaccin. Une atteinte dystopique au plus élémentaire droit de rire qu’on pensait être l’apanage du Parti communiste chinois : en 2018, le régime totalitaire a fait interdire toutes les images de Winnie l’Ourson pour sa ressemblance avec le président Xi Jinping, et dont les mèmes faisaient fureur chez les internautes du réseau social chinois Weibo. 


Dans un email, Slavitt avertit Facebook que, puisque l’entreprise ne donne pas satisfaction à ses demandes, la Maison Blanche « réfléchissait à [ses] options sur quoi faire » du problème. Une allusion, selon les plaignants, à des déclarations publiques de l’administration Biden qui souhaitait changer la loi protégeant les fournisseurs de services internet ou les administrateurs de sites de poursuites lorsque des tiers publient du contenu jugé haineux, dangereux ou illégal sur leurs plateformes. Dans leur argumentation, les plaignants en ont conclu que « les réponses de Facebook aux demandes, aux critiques, et aux menaces persistantes des membres de l’administration Biden montrent que la plateforme considéraient leurs déclarations comme plus que de simples recommandations »

Néanmoins, avant l’élection de Joe Biden et la mise en place du partenariat de Meta avec les médias, des problèmes de censure existaient déjà sur Facebook. La modération s’appuyait en effet sur des systèmes de filtres automatiques mais aussi de modérateurs internes et plus encore de sous-traitants externes à l’entreprise.




Filtres automatiques et employés biaisés, deux outils de censure 

Les algorithmes des réseaux sociaux ont souvent été mis en cause dans des suppressions de posts et de comptes sur les plateformes de Meta et Twitter. Ces outils qui recherchent des contenus à caractère haineux et illégal se trompent parfois dans leur interprétation du contexte, menant à des suppressions abusives. En janvier 2021, des militantes féministes ont ainsi hurlé à la censure après s’être posé une question pour le moins provocante : « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? » et que Twitter a identifié comme une infraction à ses règles relatives aux « conduites haineuses ». Suite à la polémique, la plateforme a accusé les algorithmes d’avoir mal interprété le contexte dans lequel s’inscrivait la question aux accents misandres, qui visait selon les féministes à dénoncer les violences sexuelles envers les femmes, qui sont certes majoritairement commises par des hommes. La plateforme a-t-elle menti ? C’est possible et nous n’en saurons jamais vraiment rien. Mais en 2020, Twitter affirmait déjà que le durcissement de ses règles et l’amélioration de ses systèmes étaient en grande partie responsables de la hausse de ces suspensions. Il faut aussi souligner que les signalements massifs d’utilisateurs peuvent faire sauter des comptes automatiquement.


Dans sa vidéo du 7 janvier, le patron de Meta estimait ainsi que le vieux système développé par son entreprise donnait lieu à des erreurs d’appréciation et à de la censure, et qu’il était temps de revenir aux racines américaines de la liberté d’expression. « Il s’est passé beaucoup de choses ces dernières années. Il y a eu beaucoup de débats sur les contenus en ligne potentiellement dangereux. Les gouvernements et les médias traditionnels ont fait pression pour censurer toujours plus. Dans bien des cas, pour des raisons politiques. Mais il y a aussi des contenus réellement nuisibles en lien avec la drogue, le terrorisme, l’exploitation des enfants, des choses que nous prenons très au sérieux et je veux qu’on les traite de manière responsable. Ainsi, nous avons mis en place des systèmes complexes pour modérer les contenus. Mais le problème des systèmes complexes, c’est qu’ils font des erreurs. Même s’ils censurent accidentellement ne serait-ce qu’un pourcent des posts, ça représente des millions de gens. Et nous sommes arrivés à un point où il y a trop d’erreurs et de censure. » 

Fait notable, Zuckerberg promettait de lever des restrictions imposées sur les sujets de l’immigration et de l’identité de genre, soulignant qu’elles étaient « déconnectées du discours dominant » qui a aujourd’hui cours aux États-Unis. Il était en effet interdit de suggérer que la dysphorie de genre relevait d’un trouble mental, et la plateforme interdisait de « mégenrer » les utilisateurs qui s’identifient au sexe opposé. Plusieurs cas de censure sur le sujet ont ainsi fait l’actualité américaine.


En 2018, Franklin Graham, le fils d’un célèbre évangéliste, a vu son compte suspendu durant 24 heures pour un post de 2016 dans lequel il défendait une loi des Républicains en Caroline du Nord visant à en contrer une autre, qui autorisait les personnes transgenres à se rendre dans les toilettes publiques de leur choix. Le chanteur Bruce Springsteen avait décidé d’annuler un concert dans cet État en raison de l’adoption de la loi : « Bruce Springsteen [...] dit que [cette loi] qui empêche les hommes d’utiliser les toilettes et les vestiaires pour femmes ‘nous ramène en arrière’. Eh bien, pour être honnête, nous devrions revenir vers Dieu. Nous devrions recommencer à le respecter et à honorer ses commandements. Nous devrions retrouver le sens commun »,  écrivait-il. Graham avait été banni par un modérateur au motif que sa publication contenait « des propos déshumanisants ». Suite à la polémique, son compte avait été rétabli et Facebook avait présenté ses excuses.


Cet épisode illustre la façon dont les employés eux-mêmes, plutôt que les dirigeants de Facebook, prenaient des décisions en fonction de leurs propres sensibilités politiques. En 2016, une enquête du média américain Gizmodo révélait que des contractuels chargés de mettre en avant l’actualité qui était en vogue sur la plateforme dans la section « Trending Topics », lancée en 2014 pour concurrencer Twitter, supprimaient régulièrement du contenu en lien avec le Parti Républicain et les opinions de droite. Ces contractuels étaient de jeunes journalistes issus d’universités prestigieuses, décrits par le média comme ayant des « sensibilités vaguement de centre-gauche »


D’autres sujets que les contenus conservateurs pouvaient se voir propulsés en tête d’affiche alors qu’ils n’étaient nullement populaires parmi les utilisateurs américains de Facebook, parmi lesquels les attaques de la rédaction de Charlie Hebdo et le mouvement Black Lives Matter, qui ne connaissait pas encore son essor actuel. Gizmo souligne que « la section actualité de Facebook [opérait] comme une rédaction traditionnelle, reflétant les biais de ses employés et les impératifs institutionnels de l’entreprise ». Facebook a par la suite décidé de s’en remettre à des algorithmes, mais, suite à plusieurs critiques remettant en cause la neutralité politique de la plateforme, la section « Trending Topics » a été fermée en 2018.



Quand Twitter bannissait les femmes qui « mégenraient » les hommes

Concernant Twitter, du temps où la plateforme était dirigée par son cofondateur Jack Dorsey, les modérateurs se sont révélés particulièrement biaisés en faveur des revendications des militants transgenres. De manière générale, le réseau social a beaucoup été accusé de supprimer les voix dissidentes jugées trop à droite et Dorsey fut sommé de s’expliquer devant le Congrès américain le 5 septembre 2018. Dans son témoignage, le PDG a réfuté tout parti pris au sein de Twitter, assurant qu’aucune idéologie politique ne motivait ses décisions de modération. 

Quelques mois plus tard, la féministe canadienne Meghan Murphy, qui s’oppose depuis des années à l’idéologie transgenre, était bannie définitivement de la plateforme le 23 novembre 2018 pour avoir mégenré Jonathan Yaniv, un canadien d’une trentaine d’années qui a porté plainte contre 16 esthéticiennes pour avoir refusé de lui épiler les parties génitales. Des preuves de sa conduite indécente auprès d’une adolescente de 15 ans sur internet, à qui il parlait de manière obsessive de tampons et de règles, ont été révélées durant la polémique, ainsi que la tentative d’organiser dans sa ville des événements dans les piscines municipales pour « les LGBT de 12 ans et plus », avec la possibilité de se mettre torse nu « à leur convenance » et où les parents étaient interdits.

Lindsay Shepherd, militante pour la liberté d’expression, a aussi été bannie de Twitter, le 14 juillet 2019, après une altercation avec Yaniv qui lui avait adressé des injures misogynes qui, elles, n’ont fait l’objet d’aucune suspension : « Au moins, j’ai une chatte bien serrée et pas un vagin béant après avoir eu un bébé de 5kg ». Des propos d’autant plus surréalistes que Jonathan Yaniv n’a jamais été opéré, comme l’exemplifie le fait qu’il ait porté plainte contre des femmes qui ne voulaient pas lui toucher le scrotum. Si le compte de Lindsay Shepherd a par la suite été rapidement rétabli, Meghan Murphy a dû attendre le rachat de Twitter par Elon Musk pour faire rétablir le sien. Quelques jours plus tôt, Twitter l’avait déjà suspendue pour avoir remis en question les positions dogmatiques de l’idéologie transgenre.


Le 15 novembre, Twitter avait exigé qu’elle supprime les posts suivants : « Les hommes ne sont pas des femmes » et « En quoi les femmes transgenres ne sont-elles pas des hommes ? Quelle est la différence entre un homme et une femme transgenre ? », à la suite de quoi Murphy s’était insurgée : « Je n’ai pas le droit de dire que les hommes ne sont pas des femmes ou même de poser des questions sur la notion du transgenrisme ? Qu’une entreprise de plusieurs milliards de dollars censure des FAITS BASIQUES et réduise au silence des gens qui posent des questions autour de ce dogme, c’est DÉMENT ». En réponse, Twitter l’avait à nouveau suspendue. Son bannissement définitif est ensuite survenu, le 23 novembre donc, lorsqu’elle avait parlé de Yaniv dans un tweet qui disait « Ouais, c’est lui ». L’intéressé s’était par la suite vanté, lors d’un conseil municipal de sa ville, d’avoir fait campagne auprès des équipes de Twitter pour la faire bannir.


Elon Musk a racheté Twitter le 27 octobre 2022. Le compte de Meghan Murphy a été rétabli le 21 novembre. En avril 2023, la plateforme a supprimé les politiques qui interdisaient aux utilisateurs de mégenrer ou d’utiliser le « deadname » ou, en français, le « morinom » d’une personne dans le jargon transgenre, qui désigne le nom donné à la naissance et figurant sur l’état civil. Néanmoins, début 2024, la plateforme a restauré les anciennes politiques sous une autre forme, en raison des lois en vigueur qui pourraient permettre de qualifier l’usage de « mauvais » pronoms et des « morinoms » de discriminations fondées sur l’identité de genre. Les termes restent vagues et ne ressuscitent pas pour autant une interdiction formelle : « Quand les lois locales l’exigeront, nous réduirons la visibilité des posts qui, pour s’adresser à quelqu’un, font volontairement usage de pronoms différents de ceux qu’une personne utilise pour se désigner, ou qui utilisent l’ancien nom d’une personne qu’elle-même n’utilise plus en conformité avec son parcours de transition ».


Après la prise de contrôle de la plateforme par Elon Musk, celui-ci a rendu public des documents internes appelés les « Twitter files » en les transmettant à des journalistes indépendants dont Bari Weiss, ancienne du New York Times, qui a fondé le média The Free Press, et Matt Taibbi, connu pour avoir révélé le rôle de la banque Goldman Sachs dans la crise financière de 2008. Ces documents révèlent entre autres des pratiques de censure sophistiquées en interne ainsi qu’une forte pression gouvernementale durant la pandémie de COVID-19, identique à celle qu’a vécue le groupe Meta. Pression à laquelle la plateforme a parfois résisté, mais à laquelle elle s’est tout de même pliée.



Les révélations des « Twitter files »

Parmi les révélations explosives de ces documents, les détails du bannissement de Donald Trump le 8 janvier 2021 confirment que la décision ne fut motivée que par un biais politique, même si, bien évidemment, tout le monde le savait. Beaucoup dans l’opinion publique s’en étaient félicités en accréditant la thèse d’abord offerte par Twitter, qui avançait à l’époque que les tweets du président pouvaient inciter à la violence, prenant pour appui l’assaut du Capitole par les électeurs du candidat Républicain deux jours plus tôt. 


Une interprétation très courte, au regard du contenu des deux tweets incriminés, et qui n’avait pas trompé grand-monde, mais qu’il fallait tout de même proposer afin de justifier un bannissement en conformité avec les règles d’utilisation. Et, même lorsqu’on déplorait une décision inquiétante, on trouvait le moyen de se dire que Twitter aurait dû agir plus tôt pour éviter d’en arriver là. Que ce bannissement restait justifié en raison du contexte politique et des outrances répétées du personnage. En d’autres termes, que la plateforme aurait dû bannir Donald Trump bien plus tôt, quand bien même ses propos n’enfreignaient pas explicitement les règles d’utilisation de Twitter, et que ça restait un mal pour un bien. 

Les personnalités politiques s’étaient quant à elles fort inquiétés de ce précédent (à l’exception notable d’Hillary Clinton, perdante de l’élection 2016 face à Donald Trump), parce qu’ils comprenaient très bien qu’ils pourraient à l’avenir être privés d’importantes plateformes de campagne par les géants de la tech. Les mois suivants, Twitter a même suspendu des comptes qui osaient relayer la parole du président déchu. Il ne fallait pas seulement l’interdire de s’exprimer, il fallait aussi que ses idées ne puissent plus circuler tout court, ainsi que le confirmait un porte-parole de l’entreprise : « Comme précisé dans notre règlement sur les tentatives d'échapper à une exclusion, nous prenons des mesures contre les comptes dont l'intention apparente est de remplacer ou de promouvoir des contenus affiliés à un compte suspendu ».


Dès le 6 janvier, des employés réclament le bannissement de Donald Trump dans des messages internes et discutent de la façon dont ils pourraient justifier cette décision pour la rendre conforme à la politique de l’entreprise. « Nous devons faire ce qui est juste et bannir ce compte », affirme un employé le 8 janvier. Ce jour-là paraît une tribune dans le Washington Post signée par plus de 300 employés à l’attention de Jack Dorsey, exigeant le bannissement : « Nous devons évaluer la complicité de Twitter dans ce qui a été justement décrit par le nouveau président Biden comme une insurrection », réclame-t-elle. En interne, des employés n’hésitent pas à qualifier le Républicain de « meneur d’un groupe terroriste » similaire au terroriste de Christchurch et à Hitler pour convaincre les dirigeants de le bannir. Mais l’équipe chargée de déterminer s’il y a eu une violation de la politique de Twitter dans les deux tweets postés ce jour-là par Donald Trump conclut qu’il n’y en a pas. 


Après des contorsions langagières visant à déterminer que le terme de « patriotes américains » employé dans un des tweets peut se référer aux insurgés du Capitole (alors qu’ils désignaient explicitement les 75 millions d’électeurs de Trump) en la qualifiant « d’incitation codifiée à de nouveaux actes de violence », le compte de Donald Trump est banni dans l’après-midi au motif qu’il contrevient aux règles de la plateforme relatives à la glorification de la violence. Si Jack Dorsey a défendu la décision, il a lui-même reconnu qu’elle constituait un précédent dangereux en cela qu’elle démontre le « pouvoir qu’un individu ou une entreprise détient sur une partie du débat public ». Un aveu stupéfiant qui non seulement confirme que les grandes plateformes de débat public appartenant à des acteurs privés peuvent effectivement orienter le débat au gré de leurs sensibilités politiques, mais qui surtout la justifie puisque, dans le même fil de tweets, Dorsey l’assure, il ne regrette en rien sa décision, prise pour garantir la « sûreté publique », selon des considérations morales qui n’appartiennent qu’à lui. Tout au plus regrette-t-il d’avoir dû la prendre, quand bien même rien ne l’y obligeait.


Ce ne sont pas les seuls faits de censure révélés par les Twitter files. Les pressions exercées sur Twitter durant la pandémie de COVID-19 sont similaires à celles vécues par le groupe Meta. Elles ont commencé sous l’administration Trump, qui avait fait pression sur les réseaux sociaux afin d’éradiquer la « désinformation » concernant la panique qui a poussé de nombreux américains à se ruer dans les supermarchés ; alors que c’était vrai. Lorsque Joe  Biden est arrivé au pouvoir, son administration s’est focalisée sur les comptes dits « antivax », selon le résumé d’un meeting entre les instances de Twitter et du gouvernement rédigé par la directrice des politiques publiques de la plateforme, à l’époque Lauren Culbertson. Plusieurs comptes et personnalités, parmi lesquels des journalistes, des scientifiques et d’autres professionnels de santé, ont ainsi été censurés d’une manière ou d’une autre pour s’être opposés au récit officiel du gouvernement sur l’efficacité du vaccin contre le COVID-19 et la dangerosité du virus, empêchant ainsi toute réelle possibilité de débat public sur les mesures à prendre.

Alex Berenson, un journaliste très suivi ayant exprimé des réserves sur le vaccin ARNm et la politique du confinement, a été directement ciblé par l’administration Biden, qui l’évoquait dans ses meetings avec les employés de Twitter. Des mails démontrent ainsi qu’elle faisait pression pour inciter la plateforme à suspendre le compte de Berenson, ce qui fut fait dans les heures suivant l’accusation publique de Biden contre les plateformes qui « tuent des gens » en ne combattant pas la désinformation. Le mois d’après, le journaliste était définitivement banni. Dans certains cas, les modérateurs de Twitter prenaient parfois eux-mêmes la décision de censurer des propos. Lorsque Martin Kulldorf, professeur à l’école médicale de Harvard, s’est opposé à la vaccination des enfants, les modérateurs de Twitter ont attribué à son post une note le désignant comme « trompeur », et ont verrouillé la possibilité d’y mettre des « likes » et des commentaires, réduisant ainsi sa portée.

Autre outil de censure utilisé, et prouvé par des captures d’écran, les « filtres de visibilité », comme ils étaient connus en interne, avaient pour objectif de réduire la portée que peuvent avoir des comptes et des posts jugés indésirables. Le système empêchait ainsi les utilisateurs de conduire certaines recherches et des tweets de devenir tendance, ces derniers étant intégrés à une liste noire nommée « Trends Blacklist », qui réduisait alors leur visibilité et ce peu importe le nombre de « likes » et de vues qu’ils pouvaient avoir. Cette pratique a affecté des scientifiques qui s’opposaient aux mesures du COVID-19, mais aussi des comptes de droite, comme ceux de Charlie Kirk et Dan Bongino, deux militants de droite qui animent des talks shows : le compte du premier a été placé sur un dispositif « Ne pas amplifier », le second sur une « Search blacklist » qui l’empêchait d’être visible dans la section de recherche de la plateforme. 


Cependant, les plus gros comptes d’influence anti-wokes jugés « très sensibles » et « controversés » selon un ancien employé de Twitter, faisaient l’objet d’un suivi particulier par une équipe comprenant le personnel le plus haut placé de Twitter, dont Jack Dorsey. Le cas du compte « Libs of Tiktok », aujourd’hui suivi par plus de 4 millions d’abonnés, suspendu à de multiples reprises par la plateforme, parfois pendant plus d’une semaine, est à ce titre très parlant. Dans un mémo interne, les employés de cette équipe de choc reconnaissent que le compte ne s’est en réalité rendu coupable d’aucun tweet « explicitement violent », justifiant leurs actions au motif que « l’utilisateur cible continuellement des individus et des alliés de la communauté LGBTQIA+ » et que ses tweets « incitent à harceler des individus et des institutions qui soutiennent les communautés LGBTQ ». Une appréciation qui, de leur propre aveu, ne reposait sur rien de tangible. Lorsque l’adresse et une photo de la résidence de Chaya Raichik, la créatrice du compte, ont circulé dans un tweet, Twitter a refusé d’agir, estimant n’y avoir vu aucune violation de leurs règles, en dépit de l’interdiction de la plateforme de faire circuler des informations personnelles.


Dans un message adressé à l’équipe chargée de recherche au sein de l’entreprise, le directeur de la politique de confidentialité et de sécurité Yoel Roth confirme l’existence de cette politique de censure indirecte, puisqu’il exprime le souhait de la voir se développer dans le futur, en des termes qui explicitent l’idéologie derrière cet ensemble de manoeuvres : « L’hypothèse sous-jacente de tout ce qu’on a mis en place est que si la visibilité de certains contenus comme la désinformation portent directement atteinte à des personnes, on devrait y remédier avec des moyens qui réduisent la visibilité de ces contenus et limiter leur viralité est un bon moyen d’y parvenir. [...] Jack est d’accord pour implémenter ce système à court-terme afin de préserver l’intégrité civique, mais on va devoir constituer un dossier solide pour pouvoir l’intégrer dans nos politiques de modération [...]. » En d’autres termes, il s’agissait de censurer le plus discrètement possible, afin de ne pas susciter de scandale, les idées politiques que les employés de la plateforme jugeaient inacceptables, parmi lesquelles la critique de l’idéologie transgenre et, plus généralement, les points de vue conservateurs.

Il n’est pas déraisonnable d’en conclure qu’un biais politique favorable aux idées de gauche animait une partie des modérateurs ainsi que les employés les plus haut placés de Twitter. Les journalistes ayant eu accès aux documents fournis par Elon Musk ont certes pu relever que, durant la pandémie de COVID-19, les modérateurs n’étaient pas toujours d’accord entre eux sur la censure de certains propos, s’opposant parfois aux demandes du gouvernement, et que plusieurs cas ont pu donner lieu à des débats soucieux du respect de la liberté d’expression garantie par le premier amendement de la Constitution. Néanmoins, les informations révélées démontrent clairement que les employés de Twitter se livraient bien à une censure idéologique, contrairement à ce que Jack Dorsey avait voulu faire croire en 2018 ; notamment puisqu’il avait lui-même, selon Yoel Roth, donné son aval.

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