Le secteur bancaire : un bastion du wokisme

Si d’un côté les entreprises sont encouragées à faire du capitalisme progressiste, de l’autre les banques sont bien sûr sommées d’investir avec éthique. Saviez-vous d’ailleurs que les premiers fonds d’investissement responsable découlent de la doctrine protestante américaine ?

Ainsi, la finance s’est en grande partie convertie au wokisme et les banques multiplient les courbettes pour se donner l’image la plus vertueuse possible : la BNP Paribas fait dans la démagogie avec une carte de crédit non-genrée aux couleurs de l’arc-en-ciel quand la Société générale interdit à ses employés d’être en désaccord avec les revendications LGBT. Et si vous êtes un peu trop à droite à leur goût, elles n’hésiteront pas à aller jusqu’à fermer vos comptes personnels.

Zoom sur cette Inquisition bancaire au service de l’Église woke.


La Silicon Valley Bank, créée en 1983 et spécialisée dans le financement des start-up et des entreprises technologiques, a dû fermer en 2023, marquant l’une des plus grandes faillites bancaires depuis la crise financière de 2008. Des erreurs d’investissement et de gestion expliquent en grande partie sa chute. Mais pour certains, la politique DEI de la banque est révélatrice des priorités mal choisies de la banque, restée huit mois sans directeur des risques. Qu’en est-il vraiment ?

Entre 2019 et 2021, la SVB connaît une croissance exponentielle. Les fonds qui y sont déposés sont nombreux et la banque décide de les placer dans des obligations d’État. Le taux de la Réserve fédérale américaine est, à l’époque, d’environ 0,5%. Lorsque les effets de l’inflation commencent à se faire sentir, celle-ci décide alors d’augmenter ses taux à 4,5%. En conséquence, la valeur des obligations diminue. Paniqués, les entrepreneurs qui avaient placé leur argent dans la SVB décident alors de le retirer ; 40 milliards sont retirés de la banque en un jour, une véritable saignée qui la conduit à fermer le 10 mars 2023.

De toute évidence, la SVB n’a pas anticipé la décision de la Réserve fédérale américaine. La raison de cette négligence est simple : pendant huit mois, la banque est restée sans directeur des risques, une situation inhabituelle pour les grandes banques. Pourquoi donc ? La SVB n’ayant fait aucune déclaration, plusieurs hypothèses ont été avancées : elle aurait été trop confiante dans sa situation financière et n’aurait donc pas estimé que le remplacement était urgent. Elle aurait aussi eu du mal à recruter un profil qualifié et spécialisé dans son domaine. Selon d’autres commentateurs, si la SVB a mis autant de temps à trouver un remplaçant, c’est parce qu’elle en cherchait un parmi des profils « issus de la diversité ». Si rien ne permet de l’affirmer, l’hypothèse est loin d’être absurde.

Deux mois avant la fermeture de la banque, le poste est accordé à Kim Olson, une femme blanche avec 30 ans d’expérience dans la finance, mais c’est trop tard. Après la fermeture, les regards se portent alors sur la branche britannique de la SVB, dont la directrice des risques Jay Ersapah, en poste depuis au moins 2021, se décrit comme « une personne de couleur queer, immigrée de première génération venue d’un milieu modeste ». Ersapah a mis en place des initiatives de diversité et d’inclusion : elle a monté un « espace protégé » (safe space) pour que les employés puissent faire leur coming-out ; lancé une campagne de soutien aux LGBT durant tout le mois de la Marche des Fiertés ; et enfin créé un blog focalisé sur la santé mentale de la jeunesse LGBT. Ce n’est pas la seule initiative DEI de la banque, et elle est loin de ne concerner que la branche britannique.

On s’aperçoit, en parcourant ses rapports et son site internet, que beaucoup de ressources ont été allouées à la promotion de sa politique DEI depuis au moins 2020, date à laquelle est nommée pour la première fois une directrice de la diversité, de l’équité et de l’inclusion. En 2022, année où l’ancienne directrice des risques quitte ses fonctions, la SVB publie un rapport DEI classant ses employés selon leur sexe et leur ethnie et dans lequel elle se donne des quotas à atteindre. Parmi ses quotas, la banque affirme vouloir plus de femmes dans des postes à responsabilité, mais aussi des afro-américains et des hispaniques à des postes de direction… spécifiquement dans la branche américaine ! Comment alors ne pas imaginer que si la SVB a mis autant de temps à trouver un remplaçant, c’était bien parce qu’elle recherchait non seulement une femme, mais une femme non-blanche, et que, faute de mieux, elle s’est résignée à choisir Kim Olson ?

Autre exemple de son engagement, la SVB avait investi 18 millions de dollars au total dans des fonds à critères ESG. Ces fonds tiennent aujourd’hui une place importante dans le secteur de la finance et de la banque et la politique DEI de la SVB en découle tout naturellement. Ce qu’on appelle aujourd’hui le capitalisme woke n’est que la continuité d’une philosophie qui s’est emparée du monde de l’entreprise dès les années 1970 sous un autre nom : le capitalisme des parties prenantes, soit l’investissement sur critères ESG. Retour aux origines.



LE CAPITALISME DES PARTIES PRENANTES

D’abord théorisé par l’économiste et ingénieur allemand Klaus Schwab, fondateur du Symposium européen du management en 1971, qui deviendra en 1987 le Forum économique mondial, le capitalisme des parties prenantes sera connu sous ce terme grâce au philosophe Edward Freeman, qui conceptualise formellement cette approche en 1984 dans son ouvrage Strategic Management: A Stakeholder Approach. Il a écrit plusieurs livres sur le sujet et est souvent considéré comme le père du capitalisme des parties prenantes. S’il a grandement contribué à développer ses principes, c’est bien Klaus Schwab qui a été le précurseur de l’idée de la responsabilité sociale des entreprises. C’est aussi lui qui l’a institutionnalisée en poussant les entrepreneurs à l’appliquer.

En 1971, il publie en effet un ouvrage intitulé La gestion moderne des entreprises dans l’ingénierie mécanique dans lequel il plaide déjà pour son application dans l’industrie mécanique. C’est là qu’il avance pour la première fois que l’entreprise ne doit pas seulement servir les actionnaires mais aussi les employés, les clients, les fournisseurs et surtout la société. Deux ans plus tard est rédigé le Manifeste de Davos, une liste des points-clé de l’entreprise à responsabilité sociale qui est présentée aux entrepreneurs lors de la deuxième session du Symposium européen du management. Le quatrième point détaille la façon dont les entreprises devraient prendre en considération le bien de la société dans leur gestion : « La direction doit servir la société. Elle doit prendre le rôle d’un fiduciaire de l’univers matériel pour les générations futures. Elle doit utiliser les ressources matérielles et immatérielles à sa disposition d’une façon optimale. Elle doit continuellement repousser les frontières de la connaissance dans les domaines de la gestion et de la technologie. »

À l’époque, sa vision s’oppose à celle du célèbre économiste Milton Friedman (1912-2006), pour qui les entreprises n’ont des devoirs qu’envers les actionnaires. Dans un article paru en 1970 dans le New York Times intitulé « La responsabilité sociale des entreprises est d’accroître leurs profits », Friedman estime que les entrepreneurs qui promeuvent cette idée ne font que prêcher le socialisme ; ils sont pour lui « malgré eux les marionnettes des forces intellectuelles qui sapent les fondements d’une société libre depuis plusieurs décennies ». Les dérives constatées aujourd’hui dans les entreprises lui donnent hélas raison, 55 ans plus tard… Ironiquement, la fresque historique disponible sur le site du Forum économique de Davos affirme que « dès ses débuts, le Forum a entériné le principe qu’il ne devait pas se poser comme un groupe de revendications ni exprimer des opinions au nom de ses membres et de ses participants. Le Manifeste de Davos fut une rare exception à cette politique »

Le Manifeste a connu une mise à jour en 2020, dans lequel la priorité aux parties prenantes est encore plus affirmée. Il enterre officiellement l’idée de la version de 1973 qui postulait que l’intérêt des actionnaires avait encore la primauté sur les décisions de gestion : « Une entreprise est plus qu’une unité économique qui génère de la richesse. Elle réalise les aspirations humaines et sociétales en tant qu’entité d’un système social plus élargi. La performance doit être mesurée non seulement sur le retour aux actionnaires mais aussi sur la façon dont elle atteint ses objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance. La rémunération des dirigeants doit refléter la responsabilité des parties prenantes. »

C’est donc à cette même période, en 1971, qu’apparaissent les premiers fonds d’investissement responsable aux États-Unis, connus aujourd’hui comme les fonds à critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG. En Europe, ils apparaîtront une décennie plus tard. L’histoire de ces fonds, dont les origines remontent encore plus loin, au début du XXème siècle, nous éclaire un peu plus sur les motivations morales et, plus étonnamment, religieuses de l’investissement éthique dans les entreprises.



L’ORIGINE RELIGIEUSE DES FONDS D’INVESTISSEMENT RESPONSABLES

Les premiers fonds d’investissement socialement responsables (ISR) en tant que tels naissent en 1971 avec le Pax World Fund, créé par deux anciens pasteurs de l’Église méthodiste unie, dont le fondateur John Wesley (1703-1791) recommandait de ne pas s’engager dans des activités commerciales immorales. Fidèles à cette pensée, Jack Corbett et Luther Tyson souhaitent offrir une alternative aux investisseurs qui ne veulent pas investir dans l’industrie de l’armement au moment où fait rage la guerre du Vietnam, virulemment dénoncée par toute l’opinion publique américaine et l’Église méthodiste unie.

Les premiers investissements éthiques de l’Église méthodiste remontent au début du XXème siècle à la période de la prohibition où elle évite, contrairement à d’autres, d’investir dans les jeux d’argent et l’alcool. En 1928, le Pioneer Fund, créé à Boston par Philip Carret, prenait aussi ce critère de responsabilité et de respectabilité puritaine pour exclure de ses investissements tout ce qui touchait de près ou de loin à ces activités considérées comme immorales. Ces « sin stocks », ou titres immoraux, comme ils étaient qualifiés, désignaient ainsi non seulement l’alcool et les jeux d’argent, mais aussi le tabac, l’armement et la pornographie. 

Il est frappant de constater ainsi dans la genèse du fond d’investissement responsable une essence religieuse dont on retrouve les codes du puritanisme politique du wokisme. La similitude entre le protestantisme et le wokisme a été relevée par plusieurs observateurs. Dans le Monde Diplomatique, Ian Buruma écrit ainsi : « Appréhender le wokisme comme un phénomène essentiellement protestant permet d’identifier la logique qui sous-tend certains rituels devenus monnaie courante ces dernières années : en particulier, l’excuse publique. À la différence des catholiques, qui se confessent en privé à leur prêtre afin d’obtenir l’absolution, nombre de protestants choisissent d’affirmer haut et fort leur vertu en se confessant publiquement. La scène n’est que trop familière : un homme, ou parfois une femme, énonce une opinion ou un mot perçus comme offensants ; il ou elle présente alors ses excuses devant tout le monde et propose de faire pénitence. » 

Les nombreuses occurrences de célébrités ayant dû faire acte de pénitence suite à des propos ou des comportements jugés racistes, transphobes, homophobes et misogynes démontrent ainsi l’envergure de la dimension moralisatrice de la pensée woke. Lors des manifestations de Black Lives Matter, le geste de Colin Kaepernick, qui avait posé un genou à terre pour protester contre le racisme, a été imité par des centaines de personnes blanches qui se sont emparées du symbole pour s’excuser au nom des Blancs et de leurs ancêtres d’avoir propagé le racisme. Ces scènes de repentance collective sidérantes à travers tout le pays ont pu être observées aussi bien chez les étudiants et les professeurs d’université que parmi les policiers.

En 2022, le professeur agrégé de philosophie Jean-Loup Bonnamy analysait les caractéristiques sectaires du wokisme en revenant lui aussi sur sa dimension religieuse : « Une chose que l'on ne remarque presque jamais est que le terme ‘woke’ (ou ses équivalents dans d'autres langues) fait d'abord et aussi partie intégrante du vocabulaire des sectes religieuses. De nombreuses sectes ‘new age’ divisent en effet le monde en deux : d'un côté, les quelques « éveillés » membres de la secte, qui verraient la réalité telle qu'elle est, et de l'autre le reste de l'humanité, endormi et inconscient. Adhérer à la secte est perçu comme un processus ‘d'éveil’, de ‘réveil’, ‘d'ascension’. Être ainsi qualifié « d'éveillé » permet d'apporter au membre de la secte une immense satisfaction narcissique, reposant sur un mépris total pour le reste de l'humanité. Dès lors, l'adepte n'a que faire des critiques puisqu'elles émanent d'aveugles qui n'ont rien compris. »

On peut le dire : ce qui apparaissait aux débuts comme une philosophie défendable (qui ne s’émeut pas, en effet, d’une entreprise qui exploite une main d'œuvre bon marché sans aucune forme de protection sociale ?) se dilue aujourd’hui dans une véritable doctrine moraliste. Et le secteur de la finance semble en prendre conscience, dans une certaine mesure.



IMPOPULARITÉ DES CRITÈRES ESG

Depuis quelques années, on assiste à une baisse d’enthousiasme dans le monde de la banque et de la finance pour les critères ESG. Le phénomène touche moins l’Europe que les États-Unis, où, depuis l’élection de Donald Trump, le mouvement anti-ESG s’est accentué, même s’il connaissait déjà des difficultés, surtout dans le secteur du climat. Le greenwashing d’un certain nombre d’entreprises, qui se sont vues infliger des amendes salées pour leurs pratiques non-conformes aux exigences écologiques, et la sous-performance des énergies renouvelables, comme l’exemplifie l’état du marché des voitures électriques, ne suscite plus la confiance des investisseurs et des banques. 

Les risques politiques et économiques que posent maintenant les critères ESG ont même poussé BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, à se désengager de l’initiative Net Zero Asset Managers, un groupe de gestionnaires d’actifs qui oeuvrait pour atteindre la neutralité carbone, ceci après le départ de six grandes banques américaines de l’alliance Net Zero Banking Alliance, qui avait le même objectif ; en conséquence, la NZAM a suspendu toutes ses activités. De grands gestionnaires d’actifs américains ont quitté le groupe d’investisseurs Climate Action 100+, tandis que les européens UBS Asset Management, Amundi, et BNP Paribas Asset Management, ont choisi de rester. 

Tout au plus, certains investisseurs européens abandonnent le terme de critères ESG, non seulement parce qu’il est politiquement connoté mais aussi parce qu’il n’a jamais été suffisamment clair. Mais l’engagement des banques et des investisseurs en faveur de politiques progressistes dans les milieux du climat et du sociétal ne risque pas de s’effondrer en Europe, d’autant plus que les tensions économiques et politiques entre l’administration Trump et l’Union européenne s’aggravent.

Sans surprise, l’engagement explicite des banques s’explique en partie par la pression des ONG et des associations militantes. Par peur du boycott et de la mauvaise publicité, elles se plient comme les entreprises à tout faire pour éviter d’être impliquées dans des polémiques. Leur profession de foi passe par les publicités à thèmes progressistes, des engagements politiques avec des associations et, plus grave, par la fermeture sans motif des comptes d’individus et d’associations jugés trop à droite…



ÊTRE LA PREMIÈRE BANQUE WOKE DE LA CLASSE

En 2017, la banque française BNP Paribas annonçait cesser de financer les entreprises de pétrole et de gaz de schiste. L’année suivante, les ONG Les Amis de la Terre et Action non-violente-COP21 ont alors mis la pression sur la Société générale pour qu’elle cesse à son tour de financer ces entreprises. « Cette technique du ‘premier de la classe’ est un classique des ONG qui s’appuient sur le mieux-disant d’un secteur pour exiger que les concurrents s’alignent », souligne Anne de Guigné dans son livre Le Capitalisme woke. On ne doute pas que la même stratégie motive les banques qui signent la charte LGBT de L’Autre Cercle. Crédit Mutuel, Société Générale, Crédit commercial de France (ex-HSBC), Banque Postale, Banque Populaire Caisse d’Épargne, Crédit Mutuel, AXA, Natixis : plusieurs grandes banques françaises sont signataires et ont mis en place des politiques DEI. Elles doivent déposer un bilan de leurs actions tous les trois ans auprès de l’association, au moment du renouvellement de la signature.

La BNP Paribas a été la première à le faire en 2015, affirmant sa volonté de « lutter contre les discriminations relatives à l’orientation sexuelle et au genre ». Très engagée, elle s’active sur tous les terrains du wokisme : valorisation des minorités ethniques, soutien aux LGBT, politique d’inclusion des personnes handicapées, et elle va jusqu’à installer des toilettes mixtes dans certains de ses locaux. Sa charte diversité et inclusion précise qu’elle s’engage à sensibiliser ses collaborateurs sur les « biais inconscients » et le sexisme, à proposer « des conférences inspirantes autour de la diversité et de l’inclusion », ou encore qu’elle met en place des critères de recrutement visant à « diversifier les profils ». Elle fait partie des entreprises ayant reçu les labels Diversité et Égalité entre les femmes et les hommes créés par l’AFNOR et, bien évidemment, elle figure parmi les entreprises gratifiées d’une bonne note par l’index d’égalité des entreprises de la Human Rights Campaign.

En interne, l’entreprise mène de nombreuses actions sur les thèmes de la diversité et de l’inclusion et communique abondamment sur leur « impact positif dans la société », mettant en avant ses réseaux diversité et inclusion dans tous les pays où elle est implantée, dont le réseau BNP Paribas Pride : « PRIDE contribue à créer un environnement professionnel et social dans lequel chacun et chacune, homme ou femme, puisse s’intégrer et s’épanouir, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre ». Depuis 2021, à la demande de ce réseau auprès de la direction, la BNP Paribas propose une carte aux couleurs LGBT, sur laquelle il est possible de supprimer la civilité et de faire figurer le prénom de son choix, et dont la cotisation annuelle est entièrement reversée à l’association SOS Homophobie. Et bien d’autres choses encore. Selon l’indice HRC, le groupe propose à ses employés une couverture médicale de la transition de genre.

La Société générale figure en deuxième position du palmarès, avec de nombreuses politiques de promotion de la cause LGBT. Comme la BNP Paribas, elle dispose d’un réseau LGBT en interne et fait partie des entreprises les mieux notées de l’index HRC, qui indique notamment qu’elle choisit ses fournisseurs en fonction de leur politique d’inclusion LGBT. Dans un communiqué de presse annonçant sa signature de la charte de L’Autre Cercle, la Société générale s’engage à promouvoir les thématiques LGBT à l’intérieur de l’entreprise, notamment grâce  à un « guide de conversation sur les sujets LGBT+ » et des formations obligatoires pour les managers. Dans ce guide, quatre types de situation sont décrites pour identifier les propos ou les comportements supposément anti-LGBT. Chaque situation comporte trois points qui expliquent à l’employé ce qu’il doit penser (que penser ?), comment il doit agir en conséquence (que dire ?), et pour quelles raisons (pourquoi ?) il doit s’y soumettre.

Le premier point porte ainsi sur les blagues ou les « remarques » sur les LGBT+ sans qu’un seul exemple concret ne soit proposé, laissant supposer que tous les types de propos visant à faire de l’humour ou à critiquer tout ce qui touche de près ou de loin à la thématique LGBT « peuvent être blessants ». Une personne LGBT, ou quelqu’un dont un parent serait LGBT pourrait alors « se sentir exclue, perdre confiance en elle et se replier sur elle-même ». Le troisième point quant à lui indique comment traiter avec un client « réfractaire à l’inclusion des personnes LGBT+ » et suggère à l’employé de défendre l’entreprise en des termes tous plus nigauds les uns que les autres : « Je suis fier(e) de travailler dans un Groupe tolérant, bienveillant, ouvert d’esprit et ancré dans son époque ». En clair, il est interdit de plaisanter ou ne serait-ce que donner son opinion sur les enjeux sociétaux et politiques des revendications LGBT, sauf si c’est pour en faire les louanges. Mais le zèle progressiste des banques ne s’arrête pas là. 


BLACKLISTAGE DES MÉDIAS ET PERSONNALITÉS DE DROITE

En novembre 2017, le parti du Rassemblement national (à l’époque le Front national) voyait plusieurs de ses comptes, dont les comptes personnels de Marine Le Pen et de l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser, clôturés par la Société générale, qui était depuis 30 ans la banque du parti, et HSBC. Le parti avait alors dénoncé une décision motivée par ses idées politiques. Si les banques n’avaient donné aucun motif précis, elles avaient démenti cette accusation. En vertu du droit au compte, la Banque de France avait ensuite ordonné au Crédit du Nord (qui est, ironiquement, une filiale de la Société générale) d’ouvrir deux comptes au nom du parti. En revanche, la banque leur avait refusé l’obtention d’un chéquier et l’encaissement par carte bleue des dons et des adhésions en ligne au parti. Le RN avait affirmé avoir perdu près de 6000 adhérents en conséquence, avant que les adhésions ne reprennent le 6 mars 2018. 

La Banque de France s’était saisie de l’affaire afin de déterminer s’il y avait eu un manquement de la Société générale et avait conclu, après quelques « contacts oraux » avec la banque et le trésorier du RN, qu’il n’y avait eu aucune injustice, mais toujours sans avancer le moindre élément d’ordre bancaire pour expliquer la fermeture... Déjà en 2014, le parti alors en plein essor avait sollicité plusieurs banques françaises qui avaient toutes refusé de lui accorder un prêt, ce qui l’avait mené à se tourner vers une banque russe. Dans un post X, le député RN Thibaut Monnier affirme que même lors des élections locales, les candidats du parti peinent régulièrement à ouvrir des comptes de campagne.

Parmi les autres banques fichées wokes par l’Observatoire du wokisme (BPCE, Crédit Mutuel, Axa, Natixis, La Banque Postale), on relèvera que le Crédit Mutuel a fermé les comptes bancaires du collectif féministe Némésis en 2023, ainsi que du média Breizh-info, car classés trop à droite et identitaires. Le motif politique est plutôt explicite, compte que du fait que la banque n’a pas hésité à revendiquer son positionnement en menant un partenariat avec le duo de comédiennes féministes de gauche Camille et Justine. Le média Frontières, qui enquête sur l’extrême-gauche et les politiques migratoires, a vu ses comptes bancaires fermés, comme l’a révélé le directeur de la rédaction Erik Tegnér, sans nommer les banques en question pour ne pas en inciter d’autres à refuser l’ouverture d’un compte au média. L’Institut Iliade, laboratoire d’idées qui œuvre pour la promotion du patrimoine européen, a quant à lui vu ses comptes fermés par le Crédit agricole. Le magazine L’Incorrect a été remercié par la banque en ligne Qoton et le reporter indépendant Vincent Lapierre, ancien membre d’Égalité & Réconciliation, estime aussi que son compte bancaire a été fermé en raison de son positionnement politique.

Valeurs Actuelles a recueilli le témoignage de plusieurs de ces interdits de compte. Alice Cordier, fondatrice de Némésis, explique ainsi qu’au moment du changement de présidence de l’association, des conseillers bancaires appellent plusieurs fois le collectif pour lui demander de détailler précisément leurs activités. Le compte finit par être fermé et les appels au conseiller resteront sans réponse. Julien Rochedy, essayiste et ancien militant RN, raconte quant à lui que, si ses demandes de prêt étaient acceptées par les conseillers des différentes banques qu’il sollicitait, c’était ensuite le siège national qui interdisait le prêt. Plus alarmant, même les proches des personnalités blacklistées peuvent voir leur compte personnel fermé. En 2014, alors que Julien Rochedy est directeur du Front national de la jeunesse, non seulement son compte personnel est fermé, mais celui de sa sœur aussi, alors qu’elle n’exerce pourtant aucune activité politique. En 2021, c’est le compte du youtubeur de droite Valek, pourfendeur de la gauche, du néoféminisme et du mouvement antiraciste, qui est fermé, puis celui de sa femme, à qui il faisait des virements réguliers, saute à son tour. Selon le youtubeur, la banque avait préalablement conduit une enquête pour savoir s’il vivait en concubinage. Autant de fermetures ciblées qui pourraient être décidées par un petit noyau de décisionnaires entendus : en effet, le directeur du développement et de la coordination de l’Institut Iliade, Romain Petitjean, pense que les banques s’échangent, en toute illégalité, des informations sur les personnalités politiques à blacklister. Mais cela reste à prouver…

Ces attaques financières ont deux objectifs : assécher les ressources et rendre le quotidien de la personne invivable. Pierre Sautarel, co-fondateur de Fdesouche, qui a fait connaître ses propres déboires lorsque son prestataire de paiement a décidé de clôturer le compte de la revue en décembre 2024, résume ainsi auprès du JDD : « C’est une forme de censure particulière, très pernicieuse qui s’est installée aujourd’hui en France. Elle consiste à obtenir la mort sociale des personnes visées. On ne censure plus vraiment officiellement, en t’empêchant de parler. On va tout simplement t’empêcher de vivre normalement. Lorsque tu te retrouves en raison de tes opinions dans le viseur de la gauche et des wokistes, tu perds ton travail, tu te fais fermer tes réseaux sociaux et même ton compte bancaire ! Il y a vraiment une censure économique flagrante et décomplexée. »

Évidemment, le motif politique n’est jamais revendiqué, car il serait considéré comme discriminatoire. À une exception près : en 2023, la banque britannique Coutts a décidé de clôturer les comptes de Nigel Farage, le leader du parti de droite UKIP, créé pour réclamer la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit). Et elle n’a pas hésité à justifier sa décision en raison d’un « conflit avec les valeurs défendues par la banque », avançant que les prises de position de Nigel Farage lui faisaient courir un risque réputationnel. Dans une liste de griefs contre l’homme politique, la banque souligne son rôle dans le Brexit, ses critiques à l’endroit des politiques environnementales et son scepticisme sur l’efficacité du vaccin contre le COVID-19. Le scandale a provoqué la démission de la directrice de la banque et, en 2024, une proposition de loi a été introduite pour durcir les conditions de fermeture de comptes bancaires en instaurant un préavis d’au moins 90 jours ainsi qu’en obligeant les banques à fournir une explication détaillée des raisons de la clôture.


Il n’existe à ce jour aucun cas de fermeture d’un compte bancaire lié à une association, un parti ou une personnalité de gauche en France pour des raisons politiques. Si la réalité de ce phénomène ne fait pas vraiment encore l’objet d’un débat public, elle n’échappe pas pour autant aux parlementaires : dans le cadre d’une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 13 mars 2025 afin de durcir la législation contre les fermetures abusives, la fermeture d’un compte dont le titulaire serait une « personne politiquement exposée » figure parmi les motifs prohibés. De manière similaire à la proposition britannique, la proposition de loi prévoit de forcer les banques à justifier leur décision auprès de leurs clients. Jusqu’à aujourd’hui, elles ne sont en effet pas tenues de le faire.

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