Culture, pub et divertissement : comment l’imaginaire collectif est manipulé.

Dans le monde idéal fantasmé par les wokes sur nos écrans, l’une des plus célèbres reines d’Angleterre peut être noire mais Moïse ne peut pas être blanc ; les hommes sont inutiles et les femmes devraient vivre loin d’eux, voire se tourner vers le lesbianisme. Des séries qui étaient à leur lancement apolitiques affirment que le racisme cause des maladies chez les personnes noires et d’autres affirment que le sexe d’une personne est un produit de l’esprit.

Dans la publicité, on vend des sous-vêtements pour transgenres non-binaires, et les images de femmes voilées jurent avec celles des femmes à barbe piquées à la testostérone qui se présentent comme des hommes « enceints ».

Bienvenue dans la quatrième dimension non-genrée, misandre et racialiste !


Pendant plusieurs années, la cancel-culture a été beaucoup débattue, avec des exemples percutants de la façon dont des œuvres jugées éculées et néfastes ont fait l’objet d’une censure démesurée. Le classique Autant en emporte le vent, accusé de romantiser la période esclavagiste des États-Unis, a été retiré de plusieurs bibliothèques américaines, son adaptation cinématographique temporairement supprimée de la plateforme de streaming HBO pour être réintroduite avec un avertissement sur son contenu expliquant que le film « nie les horreurs de l'esclavage, et son héritage, celui des inégalités raciales ». La bande-dessinée Tintin au Congo, publiée en 1931, jugée dégradante pour la façon dont elle dépeint les Congolais, s’est aussi vue retirée des rayons de certaines bibliothèques. Des textes se sont vus réécrits comme Les dix petits nègres d’Agathie Christie, rebaptisé Ils étaient dix aux éditions Le Masque, les romans pour enfants de Roald Dahl, ou encore les contes des frères Grimm.

Comme le fait remarquer l’agrégé de littérature Hubert Heckmann, le problème posé par la cancel-culture réside dans le postulat erroné que les oeuvres littéraires, ou autres d’ailleurs, seraient des « recueils d’opinions et de commandements à l’interprétation univoque », et sur lesquels sont portés des jugements anachroniques : « La cancel culture perpétue la vieille illusion bourgeoise : elle se tient pour l'accomplissement du progrès et ne voit dans l'héritage culturel qu'une poubelle de l'histoire où s'accumulent les mêmes tares que celles qui restent à dénoncer aujourd'hui chez les ennemis du progrès… Au contraire, nous devons travailler à faire apparaître l'altérité, l'étrangeté des cultures anciennes, en partant de questions qui se posent à nous dans le présent sans faire du passé l'écran de projection de nos préoccupations morales contemporaines. »Inévitablement, explique-t-il encore, la cancel-culture a pour conséquences d’appauvrir la réflexion et de creuser les inégalités sociales « en entravant l’accès d’une génération au savoir et à la culture ».

Dans ses fondements, la cancel-culture ne reconnaît pas aux gens la capacité de réfléchir en toute autonomie et avec le recul nécessaire à l'œuvre qu’ils lisent ou regardent. C’est donc sans surprise que, dans cette continuité, se développe depuis plusieurs années un imaginaire woke qui se donne pour mission de conscientiser les masses. Des géants mondiaux de l’industrie du divertissement et de la culture populaire comme Netflix, Disney et Marvel se sont ainsi engagés à réaliser des productions qui doivent respecter des normes de diversité et des interdits. La littérature jeunesse est elle-même envahie par des auteurs engagés réclamés par des éditeurs eux-mêmes engagés. Tous forment cette bourgeoisie « qui se tient pour l’accomplissement du progrès ». Au travail ou devant la télé, il n’est plus possible d’échapper au matraquage.



QUAND LA DIVERSITÉ ET L’INCLUSION… EXCLUENT

En 2021, dans une mini-série britannique produite par la Cinq, chaîne de télévision nationale détenue par Paramount et portant sur la célèbre reine d’Angleterre Anne Boleyn, le rôle principal est tenu par une actrice noire. Connue pour avoir été exécutée en 1536 par le roi réformateur de l’Église Henri VIII sur de fausses accusations, Anne Boleyn est une figure emblématique de l’histoire britannique qui, bien évidemment, était une femme blanche. Ce choix de casting entraîne alors une polémique et les créateurs se justifient en expliquant qu’ils ont tenu à choisir la meilleure actrice possible, indépendamment de sa couleur de peau. La pilule est difficile à avaler quand on sait que l’industrie du divertissement essuie depuis des années des critiques pour « whitewashing », c’est-à-dire le fait de donner à des acteurs blancs des rôles de personnages censés appartenir à d’autres groupes ethniques, surtout lorsque la fiction s’inspire de faits historiques. Suivant la même logique, la série My Lady Jane, qui réinvente l’Angleterre médiévale avec des éléments de fantasy, a été critiquée pour avoir mis en scène un roi noir, qui pour bien cocher toutes les cases de la représentation des minorités, est aussi homosexuel et handicapé. Les défenseurs de la série ont fait valoir le genre fantaisiste du récit afin de justifier sa liberté artistique. Pourquoi pas.

Et pourtant, des productions se déroulant dans des univers non-réalistes inspirés de contrées extra-européennes où les acteurs blancs tiennent des rôles ne bénéficient pas d’une telle clémence. On pourra citer en exemple Prince of Persia: les Sables du Temps, produit par Walt Disney Studios en 2010, dont l’action se déroule dans un monde magique inspiré de la Perse antique, mais où le rôle-titre est joué par Jake Gyllenhaal, un homme blanc d’ascendence européenne ; ou encore Exodus: Gods and Kings, sorti en 2014 et produit par 20th Century Studios (qui appartient depuis 2019 à Walt Disney Studios), dont le personnage principal, Moïse, a été tenu par Christian Bale, jugé lui aussi trop blanc pour le rôle d’un personnage historique ayant vécu au Moyen-Orient. Ainsi, les décisions prises dans des séries comme Anne Boleyn ou My Lady Jane agacent et inquiètent parce qu’elles sont perçues comme des assauts sur le patrimoine culturel et historique des pays européens. Le fait est qu’il existe bien une tendance à réaliser des productions dont l’objectif est de mettre en scène un maximum de personnages issus de minorités et, pour ce faire, les producteurs n’hésitent plus à remplacer des personnages de récits traditionnellement blancs dans des scénarios revisités, qu’ils soient issus de l’Histoire ou de vieux contes européens.

À ce titre, les productions de Disney ne cessent de faire l’affiche. Dans son adaptation live-action de La Petite Sirène en 2023, le personnage de la sirène blanche et rousse Ariel est interprété par une femme noire. Dans celle de Blanche-Neige, le rôle titre a été donné à une femme d’origine colombienne et l’origine du nom, qui dans le conte originel est justifié par la blancheur hivernale de la peau de l’héroïne, a été expliqué par le fait qu’elle a survécu à une tempête de neige. Ces deux histoires sont issues de contes européens anciens, ce qui leur donne une importance ethno-culturelle particulière, et ont fait l’objet de premières adaptations par Disney dont les représentations ont durablement marqué les générations. Le choix politiquement assumé de vouloir bouleverser ces représentations, au moment où l’on juge qu’il y a trop de blancs à l’écran, ne fait que confirmer pour beaucoup des personnes qu’il existe une volonté d’épuration ethnique dans la fiction.

C’est pour cette raison que la série spin-off de Star Wars The Acolyte, toujours produite par les studios Disney, a été critiquée pour ses personnages en grande majorité issus de minorités ethniques. Mais c’est sur le terrain de l’identité sexuelle que la série à surtout fait jaser. L’héroïne, qui vient d’un coven matriarcal de sorcières, est élevée par deux femmes dont l’homosexualité n’est jamais franchement établie mais dont l’intimité et le rôle de « co-parents » suggère bien une homosexualité à tout le moins métaphorique. Pour les fans de l’univers Star Wars qui revendiquent se revendiquent LGBT, c’est une certitude, ce sont des « sorcières lesbiennes de l’espace ». Le fait que cet imaginaire queer soit produit par les studios Disney est d’ailleurs particulièrement satisfaisant pour eux. En effet, Disney reste, historiquement, une entreprise de divertissement tous publics qui s’adresse avant tout aux enfants et aux familles. Sa réputation dépend grandement de ces considérations et on s’aperçoit que l’entreprise s’efforce ici tant bien que mal de concilier cette réalité avec un militantisme soft. 

L’influence du discours écoféministe centré sur la figure de la sorcière, qui aurait été persécutée par les hommes pour ses liens privilégiés avec la nature, est ici palpable. Depuis quelques années, on assiste effectivement à une convergence idéologique entre féministes et écologistes s’accordant pour affirmer que les atteintes à la planète sont le fait exclusif des hommes et qu’elles s’inscrivent dans la continuité des violences qu’ils commettent sur les femmes. Cette théorie a suscité un tout nouvel attrait pour les religions New Age inspirées des rites païens qui ont précédé l’avènement du monothéisme, lui-même perçu comme une pratique misogyne car centrée sur l’idée d’un Dieu unique et masculin. Les fidèles pratiquent des rituels et des sortilèges où sont valorisés les symboles de la capacité des femmes à donner la vie et à la cultiver à l’image de Mère Nature. L’attrait des éco-féministes pour cette mystique ésotérique liée à une vision romantique du rapport des femmes à la terre s’est notamment révélé pour la première fois en France dans les propos de la députée écologiste Sandrine Rousseau, qui a affirmé dans un post X en 2023 qu’elle « préfère les femmes qui jettent des sorts aux hommes qui construisent des EPR ».

Ces idées se traduisent par des politiques ségrégationnistes, et l’exclusion des hommes de tous les aspects de la vie des femmes, a fortiori quand elles sont lesbiennes, est perçue comme une nécessité. Déjà en 2017, le film Wonder Woman, produit par DC Entertainment, Atlas Entertainment et Cruel and Unusual Films, faisait l’objet d’un véritable culte parmi les féministes pour sa mise en scène des guerrières amazones de l’île de Themyscira, inspirée de la mythologie grecque et pour cette raison comparée à l’île de Lesbos, d’où est issu le terme « lesbianisme ». Même si l’île de Lesbos n’a jamais été exclusivement peuplée de femmes homosexuelles recluses, c’est néanmoins comme une sorte de paradis lesbien protégé des hommes qu’a été vue l’île de Themyscira ; d’autant plus que, selon l’auteur actuel de ses aventures en bande-dessinée, le personnage de Wonder Woman est bisexuel. 

L’enclave matriarcale présentée dans The Acolyte s’inscrit dans une continuité de productions au féminisme misandre, où l’homme est considéré comme indésirable et obsolète, y compris dans son rôle de père. Il ne s’agit pas simplement de vouloir représenter la diversité des familles et des sexualités mais d’imposer un modèle jugé supérieur où les hommes hétérosexuels n’ont pas de place. La promotion de la série s’est faite dans un climat médiatique qui n’a pas manqué une occasion de souligner ses thèmes LGBT et l’une des deux créatrices de la série, elle-même lesbienne, a admis que sa sexualité ne pouvait pas « ne pas se refléter » dans son travail. Les téléspectateurs l’ont bien compris et n’ont pas apprécié : la série a été très mal reçue et annulée après seulement une saison.

De manière plus anodine mais beaucoup plus symbolique de la radicalité idéologique LGBT dont la série est imprégnée, figure une scène dans laquelle l’héroïne demande à un autre personnage si la créature Bazil, une espèce de castor de l’espace, est un « lui » ou un « eux ». Face aux moqueries des téléspectateurs, qui y voient à juste titre une tentative grossière de normaliser l’idée de pouvoir choisir ses propres pronoms, les scénaristes ont plaidé la « blague ». Néanmoins, l’actrice qui joue le rôle titre, Amandla Sternberg, a très sérieusement affirmé être non-binaire, comme toute une flopée de jeunes acteurs wokes, et utiliser les pronoms « elle » et « eux »... Là encore, le public n’a pas été dupe de la manœuvre. 

Ici, un point mérite d’être soulevé. La volonté de faire accepter le concept de la non-binarité repose sur l’idée que le sexe biologique est un carcan qui doit pouvoir être rejeté. Dès lors, et à l’inverse notable du transgenrisme, où les individus construisent toute leur apparence sur les normes qui marquent le sexe opposé afin de pouvoir s’en réclamer, pour ceux qui se revendiquent non-binaires, s’identifier à un sexe ou à l’autre revient à s’enfermer dans une identité normée par les stéréotypes de genre. C’est un paradoxe, mais tendre vers un monde non-genré représente un idéal d’égalité pour les wokes. C’est sur ce principe qu’au Royaume-Uni, la cérémonie de récompenses de la musique des Brit Awards a décidé en 2021 d’abolir les catégories hommes et femmes. Lorsqu’en 2023, les cinq nominés de la catégorie « Artiste de l’année » se sont tous révélés être des hommes, la décision a suscité un certain malaise : quid de la parité ?

Dans le fond, le problème n’est pas tant que ces productions existent, même si on se passerait bien d’entendre parler de castors non-binaires. Le véritable problème, comme l’avance dans son ouvrage Woke Fiction l’essayiste Samuel Fitoussi, que nous avons reçu en entretien, c’est qu’en ayant perdu leur neutralité, les films et les séries n’offrent plus de richesse narrative : « Le problème aujourd’hui n’est pas ce qui est annulé, mais ce qui n’est plus produit. [...] L’idéologie impose un cadre que l’imagination ne dépasse plus. [...] On s’astreint vertueusement à ce qu’impose la morale de son milieu, on obéit aux nouvelles injonctions, on respecte les nouveaux interdits. [...] Croyant regarder une fiction ancrée dans le réel, le spectateur découvrira une version du réel. Version qui légitimera certains combats politiques, validera certains discours, alimentera certains stéréotypes. Pensant profiter d’une comédie, il sera éveillé aux constats et aux récriminations de militants radicaux. » 

Si l’obsession de la représentation des minorités exaspère autant, c’est bien parce qu’elle démontre une volonté plus profonde de rétrécir à peau de chagrin celle de l’homme blanc hétérosexuel, archétype de l’oppresseur dans la pensée woke : le sexe binaire est considéré comme dépassé, la peau blanche comme une tare congénitale qui rend raciste, et l’hétérosexualité comme une injonction sexuelle d’un autre temps. L’imaginaire woke entend représenter l’humanité dans sa complexité et, ironiquement, sa diversité, tout en excluant des groupes entiers d’individus au motif de leur appartenance ethnique, leur sexe et leur orientation sexuelle.



LE CAHIER DES CHARGES INCLUSIF DU DIVERTISSEMENT

Si les productions wokes se sont dramatiquement substituées à tous les types de récits jugés problématiques, la raison en est que les entreprises et les institutions culturelles imposent un strict cahier des charges. Une série au casting majoritairement blanc ou comportant trop peu de personnages LGBT peut alors être refusée pour ces seuls motifs. C’est ce que révélait en 2021 la directrice de Disney Television Studios, Dana Walden, lors d’une table ronde : « Ça ne peut plus passer à l’écran parce que ce n’est pas ce que veut notre audience ». Depuis l’élection de Donald Trump, qui a massivement désavoué l’engouement supposé de la population pour les politiques DEI, l’entreprise a fait marche arrière, notamment en supprimant son programme d’inclusion « Reimagine Tomorrow » (qui visait à atteindre 50% de personnages issus de minorités dans ses productions) et se retrouve aujourd’hui dans le viseur du gouvernement, qui enquête sur ses pratiques.

Le virage d’entreprises privées du divertissement telles que Disney, Warner Bros, Paramount et Amazon Studios (menacé de poursuites par l’administration Trump) ne doit pas faire oublier que les institutions culturelles continuent de résister à la vague anti-woke. Une cinquantaine de stars et d’artistes ont activement soutenu la campagne de Kamala Harris et l’Académie des Oscars a pris la décision, en 2024, d’instaurer plusieurs critères de diversité à respecter pour qu’un film puisse être éligible à un de ses prix. La moitié d’entre eux doivent être remplis pour ouvrir droit à la compétition et les exigences sont assez nombreuses pour être décourageantes.

Des quotas de minorités sexuelles et ethniques sont exigés non seulement parmi les personnages du film mais aussi dans l’équipe de production et de tournage. La société qui distribue ou finance le film doit quant à elle offrir la possibilité d’effectuer des stages et des formations aux métiers du cinéma spécifiquement ouverts à ces groupes, et les équipes marketing du film doivent aussi être composées selon un pourcentage précis de minorités ethniques. Le scénario lui-même doit se focaliser sur les femmes, les minorités ethniques ou les personnes handicapées. Exit la liberté artistique, place à la propagande : on peut s’attendre à voir dans les prochaines années encore plus de wokisme dans les films, a fortiori lorsque ce sont des blockbusters comme le très woke Barbie, produit par Heyday Films, LuckyChap Entertainment et Mattel Films.

Tout comme la littérature se dote de « relecteurs en sensibilité » chargés de chasser les stéréotypes et d’apprendre aux auteurs comment écrire des personnages en fonction de leur sexualité et de leur ethnie, les studios de production font appel à des consultants et des spécialistes de la représentation chargés de s’assurer que les scénarios remplissent le cahier des charges du wokisme. L’association américaine GLAAD, qui dénonce les discriminations LGBT dans les médias, a elle-même créé son propre département de conseil en 2018, le GLAAD Media Institute, afin de guider les entreprises et les créateurs de contenu dans leur représentation des personnes LGBT. Elle a notamment collaboréavec Xbox Game Studios et Dontnod Entertainment sur le jeu vidéo Tell Me Why, dans lequel un des protagonistes est une femme trans-masculine. 

Grâce aux consultants en représentation, les personnages sont recensés, classés, divisés en groupes et en sous-groupes, comptés au pourcentage près. Les dernières saisons de Grey’s Anatomy, produite par ABC, filiale de Disney Television Studios, ont viré dans le prêche politique : un épisode est consacré aux violences policières durant les manifestations de Black Lives Matter, un autre encore dénonce la façon dont le COVID-19, à cause du racisme, aurait touché les minorités ethniques de façon disproportionnée. Chaque épisode est examiné au peigne fin par Kasha Foster, « directrice de la diversité, l’équité et l’inclusion », qui s’assure que les personnages non-blancs sont écrits en fonction de leur pigmentation...

En France, plusieurs initiatives en faveur de la diversité ont été mises en place. Le CNC dispose d’un fonds « Images de la diversité » pour financer les productions audiovisuelles « contribuant à donner une représentation plus fidèle de la réalité française dans toutes ses composantes ». Dans le détail, il soutient les œuvres qui représentent « l’ensemble des populations immigrées » et « concourent à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la politique d’intégration et à la lutte contre les discriminations dont sont victimes les habitants des quartiers défavorisés ». Il accorde aussi un « bonus parité » de 15% depuis 2019 pour financer les films dont les équipes de tournage comportent au moins autant de femmes que d’hommes, main dans la main avec le Collectif 50/50, association dont l’objectif est de promouvoir l’égalité et l’inclusion dans le monde de l’audiovisuel. Elle propose un annuaire de professionnels du milieu répondant aux critères de diversité. Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, a instauré en 2019 un quota de 30% de réalisatrices pour ses séries et recommande l’utilisation de cette plateforme. 

Elle avait certes annoncé la couleur dès 2015, lors de sa prise de fonctions : « On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans, et ça, il va falloir que cela change ». La même année était créé un Collège de la diversité par le Ministère de la Culture afin de promouvoir la « diversité culturelle », sans pour autant s’avancer sur ce que ce terme est censé désigner. Moins pudique, l’ARCOM publie chaque année un « baromètre de la diversité » à la télévision où sont recensées les personnes selon leur origine perçue dans « des catégories de sens commun » selon qu’elles sont vues comme « blanches », « noires », « asiatiques », etc. Il s’agit bien évidemment d’une manière de contourner la loi qui interdit les statistiques ethniques.

Sur le petit écran français, dans les fictions qui ont abordé la dysphorie de genre chez les mineurs, toutes ont pris le parti de l’approche trans-affirmative. Le scénario est toujours le même : un enfant se pose des questions sur son identité de genre, l’entourage doute et remet la volonté de l’enfant en question, puis finit par se laisser convaincre qu’il est dans le faux et l’enfant poursuit sa transition. Il n’existe à ce jour aucune production qui propose une autre façon de traiter les mineurs qui s’identifient à l’autre sexe ; il n’est tout simplement pas question de remettre en cause ce diagnostic au profit d’un autre, alors que bien souvent, le mal-être des enfants qui s’identifient à l’autre sexe ont d’autres causes. Le problème n’est pas de représenter des personnes transgenres, mais de proposer une vision unilatérale et dogmatique de la dysphorie de genre, qui n’admet aucun autre point de vue que celui des militants radicaux. Ces productions s’alignent sur la vision des associations qui veulent forcer le secteur médical à privilégier cette approche trans-affirmative, ce qui démontre l’emprise idéologique exercée sur le monde culturel par une minorité militante très active.

En 2018, la série Plus belle la vie du groupe de production Telfrance mettait ainsi en scène Dimitri, une femme trans-masculine qui aide une adolescente, Clara, à s’engager sur le chemin de la transition en dépit des doutes de ses proches. Loin de lui présenter diverses options, Dimitri s’étonne que la jeune fille n’ait pas déjà imposé son nouveau prénom masculin et rencontre ses parents pour les mettre devant le fait accompli, en parlant, comme si tout était décidé, de leur « fils ». Le mal-être de Clara, qui est persuadée d’être un homme coincé dans un corps féminin, n’est pas traité comme un trouble mais comme un phénomène naturel, rationnel et indiscutable. Cette vision unilatérale de la dysphorie de genre est un discours idéologique et c’est en ça que cette représentation est woke. Le producteur de la série, Sébastien Charbit semble assumer pleinement ce parti pris puisqu’il s’est félicité, dans le magazine Society en août 2022, que « tout ce qu’on peut taxer de woke a maintenant été fait » dans Plus belle la vie qui, en effet, n’a manqué aucune occasion de se positionner sur tous les sujets de société qui ont agité l’actualité. 

En 2021, TF1 diffuse le téléfilm belgo-français Il est elle, coproduit par And So On Films, TF1 Distribution, Be-Films et RTBF, entreprise publique pour la radio et la télévision belges. Le scénario s’inscrit dans la même veine que celui de Plus belle la vie : un jeune garçon doit affronter les préjugés d’un père réactionnaire qui refuse de le laisser transitionner avant de finir par reconnaître avoir eu tort. Il est intéressant de noter que dans ces fictions, c’est le père qui refuse systématiquement d’accepter les propos de l’enfant. Dans le film belge Lola vers la mer, produit par 10:15 Productions, Wrong Men North, RTBF, et en partie financé par la filiale belge de BNP Paribas, Benoît Magimel joue le rôle d’un père qui n’est jamais parvenu à accepter que son fils ne soit plus son fils. En cohérence avec l’idéologie woke, les hommes sont ainsi montrés comme plus réactionnaires et moins tolérants que les femmes…


Autre série française populaire produite par Telfrance, Demain nous appartient s’est distinguée en octobre 2021 avec la tirade particulièrement consternante d’une lycéenne, mais qui résume parfaitement le fond idéologique de l’imaginaire woke : « Je m’appelle Angie Lopez Diallo et j’en ai marre de pas me retrouver dans nos programmes. [...] L’Éducation nationale n’a rien à foutre de nos individualités. Les programmes ont été créés par et pour des hommes cisgenres blancs hétéros qui nient nos différences. Seulement aujourd’hui, la société a changé, alors plus question de s’écraser ! Les minorités méritent d’être reconnues, étudiées et célébrées. Je sais que certains parmi vous n’osent pas s’affirmer : des gays, des lesbiennes, des non-binaires qui comptent chaque jour les séparant du bac pour enfin se sentir libres d’être qui ils sont. Sauf qu’aujourd’hui la diversité c’est la norme et je refuse que des vieux boomers nous invisibilisent. [...] On veut étudier des auteurs noirs, gays, non-binaires, des femmes issues de l’immigration ou du métissage. »



LE MONDE FABULEUX DES WOKES DANS LA PUBLICITÉ

Dans le monde inclusif fantasmé par la pub, il est possible de voir Adidas dresser côte à côte sur des panneaux les images d’un transsexuel et d’une musulmane voilée tandis que Calvin Klein met à l’affiche un homme enceint (une femme trans-masculine, donc). Nous voilà plongés dans le monde intersectionnel, où l’on peut vivre dans une société où le sexe des femmes est marqué dans l’espace public par un accoutrement religieux au prétexte de protéger sa pudeur, mais où les hommes peuvent prétendre être des femmes, et les femmes des hommes enceints, au prétexte que le sexe biologique n’existe pas.

Surfant sur les discours victimaires, le service marketing des entreprises n’hésite pas à politiser ses spots en recrachant les postulats les plus convenus de l’idéologie victimaire du wokisme. En septembre 2024, le Crédit Agricole diffuse une publicité sur le thème de « l’égalité des chances » pour l’emploi des jeunes, avec un spot de quatre personnes parmi lesquelles ne figure aucun homme blanc. Une femme s’y plaint de ne pas avoir accès à « l’ascenseur social » en tant que femme, les deux autres approuvent mais leur ami maghrébin proteste : « Tu sais, moi, je m’appelle Yacine alors si tu veux, l’ascenseur… » Dans un autre spot de la même campagne, une jeune femme déclare qu’elle ne compte pas postuler à une entreprise dans laquelle il n’y a aucune femme à sa direction. 

Présenter les femmes et les minorités ethniques comme les victimes éternelles de la société pour attirer la jeunesse militante geignarde sera peut-être payante auprès de celle-ci. Elle le sera sans doute moins auprès des agriculteurs, à qui le soutien au développement a motivé la création même de la banque, ou des « gars qui fument des clopes et roulent au diesel », tel que Benjamin Griveaux avait qualifié ces classes populaires que la caste diplômée et engagée méprise en permanence. Le récit de la société avancé par ce type de publicités ne fait que souligner le décalage entre cette caste et le reste de la population française, pour qui les préoccupations progressistes ne s’alignent pas sur la réalité de leurs conditions de vie.

La SNCF s’est aussi essayée au marketing engagé en 2021 avec une publicité marquée par son parti pris pour les causes en vogue. La chanson qui accompagne le spot vante une entreprise « progressiste » et « féministe », prête à « défiler pour l’égalité », mettant en scène un drag-queen et le train SNCF aux couleurs du drapeau LGBT qui avait circulépendant la Marche des Fiertés 2019. Une profession de foi qui n’a pas empêché l’association LGBT Mousse de porter plainte contre l’entreprise pour exiger qu’elle cesse d’indiquer le sexe des passagers sur les billets de train, motivant son action au motif que « les personnes transgenres, non-binaires et intersexes subissaient des discriminations au sein de la SNCF ». Des internautes n’ont pas manqué de relever au passage le cynisme de la publicité qui assume les retards de ses trains, mais aussi l’opportunisme de la stratégie du positionnement politique dans un contexte où les enjeux économiques de la mobilité (augmentation du prix des billets de train, interdiction des voitures jugées polluantes et ZFE…) se posent pour les ménages les plus modestes.

L’entreprise Moodz, qui vend des protections menstruelles, dont des « boxers non-genrés », a réalisé en 2021 des spots publicitaires à destination des personnes transgenres ou encore des transgenres… non-binaires. Des affiches placardées dans le métro et dans les toilettes des bars et des restaurants affirment que les règles, « ça concerne aussi bien les hommes que les femmes », clin d'œil aux femmes trans-masculines. L’entreprise a reversé les bénéfices de sa campagne à Acceptess-T, une des associations qui a poussé la Haute Autorité de Santé à proposer de faciliter la transition des mineurs dès l’âge de 16 ans, avec un remboursement intégral par la Sécurité sociale, tout en préconisant de ne pas les considérer comme des malades. Sous l’impulsion de ces associations, la HAS préconise aussi de signaler aux autorités les parents qui s’opposeraient à la transition de leur enfant dans l’objectif de les déchoir de leurs droits parentaux voire de permettre au mineur de s’émanciper.


En 2022, l’entreprise danoise de jeux de construction Lego a diffusé, principalement sur internet, un spot publicitaire dans lequel des personnes LGBT s’adonnent à des constructions ayant pour but de « représenter leurs vraies histoires ». Une femme présente ainsi un damier noir et blanc censé représenter sa condition intersexe et un homme trans-féminin nous invite à visiter son « jardin transgenre » aux couleurs du drapeau bleu, blanc, rose. « Le jeu Lego offre un espace universel et surtout un espace sûr pour s’exprimer et être la personne qu’on est », affirme joyeusement un des participants. « Je suis une femme noire et queer qui adore les briques Lego », déclare une autre. Un an plus tôt, la marque sortait un set de briques aux couleurs et aux personnages LGBT, disponible en France. Une page intitulée « Tout le monde est génial ! » en français nous présentece set : « En ce mois des fiertés, nous vous invitons à célébrer votre vraie personnalité – et tout ce qui fait de vous un être unique – en construisant un autoportrait reflétant toutes les petites choses qui font de vous qui VOUS êtes ! » Le narcissisme à son apogée. Car c’est aussi ça, le wokisme : l’idée que les minorités seraient des êtres plus singuliers que les autres, de par leur indéboulonnable statut de victime. Qu’elles émergent victorieuses d’une société brutale qui les étouffe et qu’elles doivent pouvoir imposer leur petite personne partout où elles le désirent pour raconter leurs « vraies histoires ».


L’imaginaire woke n’a pas à cœur de proposer des histoires d’individus singuliers et marginalisés dans la société ; les artistes n’ont pas attendu le wokisme pour le faire, d’ailleurs. La littérature comme le cinéma regorgent de pépites qui ont rencontré un grand succès parce qu’elles proposaient justement des histoires centrées sur des personnages qui sortaient de l’ordinaire. L’imaginaire woke est construit sur un projet de société. En saturant tous les espaces créatifs de ses revendications utopiques, il souhaite supprimer les autres imaginaires pour imposer son dogme au public, dans des productions strictement encadrées. Et un récit contrôlé par des idéaux politiques, ce n’est pas une œuvre d’art, mais un instrument de propagande.

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