Wokisme en entreprise : La grande infiltration.

Sur les réseaux sociaux professionnels comme Linkedin, qui n’a jamais lu une offre d’emploi promettant un cadre de travail « bienveillant », où chacun peut s’épanouir au sein d’une entreprise « engagée » et « inclusive » ? C’est de plus en plus évident : les entreprises se politisent… à gauche. Les plus grands groupes ne veulent plus seulement faire du chiffre, ils veulent changer la société. Carrefour déplore l’interdiction des quotas ethniques et Danone veut supprimer les « biais inconscients » de ses employés : voilà deux des multiples obsessions du wokisme, la forme la plus dogmatique du progressisme prôné par la gauche. Aux États-Unis comme en France, les entreprises se transforment en régulateurs politiques au service de cette idéologie qui domine le débat public. Comment en sommes-nous arrivés là ?


Le 1er avril 2023, dans le cadre de la March Madness, un tournoi de basketball très populaire aux États-Unis, la marque de bières Bud Light lance une campagne publicitaire en partenariat avec l’influenceur trans-féminin Dylvan Mulvaney, qui publie sur son compte Instagram une vidéo dans laquelle il sirote une canette de Bud Light à son effigie, que la marque lui a envoyé en « cadeau » afin de célébrer son « 365ème jour de féminité ». La vidéo de 48 secondes provoque un tollé retentissant parmi les conservateurs américains, en particulier les hommes. Le chanteur de rock et country Kid Rock provoque un énorme boycott en publiant une vidéo dans laquelle il canarde des packs de Bud Light au fusil semi-automatique, invitant la marque et sa société mère à « aller se faire foutre ». 

Cette campagne désastreuse coûtera sa première place à la marque sur le marché, qu’elle détenait depuis 20 ans. Entre avril et juin 2023, elle aura perdu 395 millions de dollars et n’est jamais revenue à sa situation antérieure.  L’affaire Bud Light reste emblématique des tensions qui se cristallisent autour d’un phénomène qui s’est intensifié ces dernières années et qui commence à rencontrer de sérieuses oppositions : le wokisme en entreprise. Mais qu’est-ce qu’une entreprise « woke » ?


L’AFFAIRE BUD LIGHT, OU COMMENT UNE ENTREPRISE DEVIENT WOKE

Selon Anson Frericks, ancien employé de la société mère de la marque Anheuser-Busch InBev, et qui y a travaillé 11 ans, les analyses les plus récentes du boycott démontrent que des millions de consommateurs aux opinions politiques variées, et non pas seulement les hommes conservateurs, ont été outrés par la campagne publicitaire, qualifiée de « woke ». Ce terme américain désigne des discours et des politiques se voulant progressistes, politiquement marqués à gauche et dont l’objectif est avant tout de défendre les minorités (ethniques, sexuelles, mais aussi les handicapés) face à une majorité qui serait dominante, oppressive et dont tous les individus seraient pétris de biais inconscients à l’égard de ces minorités qu’il convient d’éradiquer. 

Depuis plusieurs années, ces idées ont envahi les secteurs de l’éducation, les médias, les associations, les politiques… et les entreprises. Fort de son expérience dans le milieu, Anson Frericks définit le wokisme en entreprise comme ceci : « D’un point de vue entrepreneurial, je définis le terme woke comme l’idée qu’il faudrait que les entreprises et les marques soutiennent des causes libérales, même quand ces causes n’ont rien à voir avec les activités de l’entreprise. Les dirigeants “wokes” utilisent leur statut pour promouvoir une idéologie politique progressiste sans aucun lien avec leur rôle d’entrepreneur. Les dirigeants d’entreprises de logiciels qui appellent à abolir la police, les dirigeants de compagnies aériennes qui exigent que des lois visant à réguler le bon déroulement des élections soient abolies, et les dirigeants d’entreprises financières qui se lamentent de la révocation du droit à l’avortement, tous sont “wokes”. »

En 2021, explique-t-il, après des années de marketing sans originalité qui ne permettent plus d’augmenter les ventes de ses produits, la société Anheuser-Busch InBev décide de se tourner vers une nouvelle stratégie : le progressisme d’entreprise, qui s’appuie sur ce qu’on appelle les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, couramment appelés les critères ESG. Principalement utilisés par les investisseurs, ils ont pour objectif de mesurer les performances des activités d’une entreprise et ses impacts sur la société et l’environnement. Ces critères font aujourd’hui la pluie et le beau temps d’un nombre important de grandes multinationales qui les adoptent afin de séduire les investisseurs et d’améliorer leur image auprès des consommateurs.

Les critères ESG s’inscrivent dans la droite ligne des politiques DEI (diversité, équité et inclusion), qui comprennent un éventail plus large de politiques progressistes déployées depuis plusieurs années dans tous les secteurs de la société dont l’éducation, la santé, les associations, les partis politiques, la police, les entreprises, etc. Sous la forme de programmes, les initiatives comprennent des formations au respect et à la mise en valeur de la diversité ethnique et sexuelle, ainsi qu’à l’égalité entre les hommes et les femmes, jusqu’aux bonnes pratiques écologiques et à l’inclusion des personnes handicapées. 

Sous la direction de Michel Doukeris, nommé à la tête de l’entreprise en mai 2021, Anheuser-Busch Inbev décide ainsi de prioriser la « diversité » et « l’inclusion » dans son développement commercial. En lieu d’un système méritocratique qui jugeait les performances réelles des employés à leur poste depuis des années, la société décide d’instaurer des « tableaux de bord de la diversité » évaluant le degré de diversité des équipes selon le sexe et l’ethnie des employés. Le travail des managers est jugé en fonction de la composition de leur équipe selon ces critères. Ceux qui remplissent les quotas de diversité jugés acceptables se voient promettre une promotion. Un questionnaire de satisfaction des employés à l’égard de la politique DEI de l’entreprise est aussi mis en place et le département des ressources humaines se voit confier la tâche de faire tout ce est en son pouvoir pour amener les employés à se dire « satisfaits ». 


C’est en partie pour s’attirer les faveurs des investisseurs guidés par BlackRock, la plus grande société de gestion d’actifs, que l’entreprise opère ce tournant. À l’époque, cette multinationale qui fournit des conseils d’investissement et de financement incite fortement les entreprises à épouser les politiques DEI et donc à investir en fonction des critères ESG. Anheuser-Busch Inbev se persuade alors que sa politique de diversité plaira aux investisseurs au point de leur permettre d’intégrer des fonds mutuels gérés selon des critères ESG, ce qui aurait incité plus de personnes à acheter des actions et aurait vu le cours boursier de l’entreprise augmenter. Mais la campagne désastreuse de Bud Light est venue dynamiter ce plan le 1er avril 2023 : la valeur en bourse d’Anheuser-Busch Inbev a aujourd’hui chuté de 40 milliards.


DU WOKISME UNIVERSITAIRE À L’ENTREUPREUNARIAT ENGAGÉ

L’affaire Bud Light est une conséquence de la colère qui se répand aux États-Unis contre la politisation des entreprises en faveur des discours pseudo-progressistes promus par une élite universitaire, médiatique et politique, désignés en France sous son appellation anglo-saxonne, le « wokisme ». Issu du mouvement pour les droits civiques initié par les afro-américains dans les années 1960, le terme « woke » (qui signifie « éveillé » en français) a pour sens initial l’idée de rester « éveillé » face à un système injuste et oppressif qui favorise l’homme blanc, soit d’avoir pleinement conscience des discriminations et des inégalités sociales qui gangrènent la société. C’est d’ailleurs après la mort de l’afro-américain George Floyd en 2020 dans le cadre d’une arrestation policière que les politiques DEI se sont considérablement répandues aux États-Unis, deux-tiers des entreprises de plus de 500 employés y ayant réagi par des adresses publiques, des réunions internes, des dons à des associations et la promesse d’embaucher plus de candidats « issus de la diversité ».

Cette position qui incite le militant à rester vigilant et attentif aux injustices qui ont cours autour de lui ne suffit cependant pas : il doit aussi remettre en question ses propres biais et préjugés (racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, etc), dont il est naturellement pétri puisqu’il a été élevé dans une société profondément injuste et oppressive. Il doit examiner les « privilèges » sociétaux dont il bénéficierait dans la société en fonction de sa couleur de peau (s’il est blanc), de son sexe (si c’est un homme), de son orientation sexuelle (si c’est un hétéorsexuel), et, depuis une dizaine d’années maintenant, de son « identité de genre ». Le militant woke est invité à encourager le concitoyen réfractaire à ces discours à « déconstruire » tous les phénomènes sociaux qui l’ont amené à penser ce qu’il pense, car, contrairement au militant woke qui lui est éveillé face au mal, il n’a pas conscience d’être dans le faux et met donc en péril l’advenue d’une société véritablement juste et égalitaire.


Ce courant de pensée irrigue aujourd’hui la société française. Loin d’incarner une pensée de gauche historiquement investie dans la lutte des classes avec la défense des ouvriers avant de leur tourner le dos, le wokisme est à la fois un système de pensée et un mouvement qui se focalise sur l’appartenance à des communautés construites non plus tant selon la position économique et sociale des citoyens mais selon des considérations culturelles et identitaires. La gauche politique française a acté ce tournant avec la stratégie Terra Nova, laboratoire d’idées politiques qui, en 2011, lui conseillait de concentrer ses efforts sur un électorat urbain et diplômé ainsi que les jeunes de banlieues. Le parti LFI en est aujourd’hui la meilleure incarnation.

L’appartenance ethnique et religieuse (qui s’incarne dans l’immigrationnisme), ainsi que la sexualité et les rapports hommes-femmes (dont les enjeux sont dilués dans le concept fallacieux d’identité de genre) constituent le pilier principal des champs de batailles de la pensée woke, même si ses promoteurs épousent d’autres idées qui ont refaçonné l’ensemble de la gauche dès le milieu du XXème siècle, dont l’écologie anti-nucléaire, le véganisme ou encore l’antispécisme, toutes liées à la défense de l’environnement. C’est par ailleurs la prise de conscience de l’urgence climatique qui a, en premier lieu, poussé les entreprises à s’engager politiquement, comme l’explique la journaliste Anne de Guigné dans Le Capitalisme woke, enquête-essai parue en 2022 : « Intégrant la contrainte de la finitude des ressources, les grands groupes ont d’abord modifié leur mode de production afin de mieux respecter la nature. En parallèle, pour répondre aux aspirations de la société civile, ils se sont engagés sur les questions sociales et sociétales, un terrain de jeu plus complexe car modelé par les différentes cultures nationales. Ce double mouvement a profondément modifié la nature des liens entre les multinationales et les États. »

D’abord promues dans l’enseignement supérieur et les associations, les idées progressistes modernes ont ensuite été relayées par les médias de masse et les partis politiques, autant de milieux de pouvoir qui ont fini par constituer un bloc hégémonique de nouvelles valeurs culturelles érigées contre la moitié conservatrice et traditionnelle des citoyens, aux États-Unis comme en France, même si la vague a rencontré une certaine résistance, l’essence communautariste du wokisme se heurtant à l’idée issue de la Révolution française que les citoyens n’appartiennent fondamentalement qu’à une seule communauté indivisible, la nation. Les programmes DEI, qui sont l’application concrète des théories « wokes », assument de tenir un rôle « éducateur » afin d’éradiquer les pratiques et les opinions jugées néfastes à l’avènement d’une société ouverte et bienveillante. 


Les positions adoptées peuvent ainsi s’appuyer sur des concepts sociologiques douteux tels que la « masculinité toxique » : l’une des plus grandes associations de psychologues professionnels aux États-Unis, l’Association américaine de psychologie (ou APA pour American Psychology Association), a officiellement épousé la vision d’une « idéologie masculine traditionnelle » qui serait génératrice de violences chez les hommes. Dans son guide de 2019 sur les pratiques à adopter dans le traitement des pathologies chez les hommes et les garçons, elle appelle ainsi les professionnels à faire reconnaître leurs propres biais aux patients en les aidant à « comprendre comment le pouvoir, les privilèges et le sexisme fonctionnent, à la fois en leur conférant des bénéfices et en les enfermant dans des rôles contraignants ». Christopher Ferguson, psychologue clinicien qui a quitté l’APA en 2021 en raison de ses positions idéologiques (dont un engagement politique dans la lutte antiraciste), a critiqué le virage de l’association en dénonçant la façon dont elle occulte les études scientifiques qui démontrent des différences biologiques entre les hommes et les femmes à la faveur d’une approche exclusivement sociologique des rapports de sexe. Inquiet des répercussions que cette approche pourrait avoir dans l’accompagnement des hommes et des familles qui épousent des valeurs traditionnelles, il accuse l’association d’avoir pris une décision motivée par un dogmatisme politique plutôt que par des considérations scientifiques.

Quelques semaines plus tard, la masculinité toxique a fait l’objet d’une campagne publicitaire de Gillette dans laquelle elle est dénoncée et le mouvement MeToo célébré, malgré les critiques dont il a fait l’objet pour avoir engendré un climat de présomption de culpabilité envers les hommes en sacralisant la parole des femmes. Malgré des critiques des consommateurs, Gillette n’a subi qu’un faible boycott et a défendu son marketing engagé, récidivant quelques mois plus tard avec une publicité promouvant le transgenrisme, dans laquelle un homme aide sa fille trans-masculine sous traitement hormonal à se raser pour la première fois.

Au cœur de cette obsession pour l’inclusion et la diversité se dessine une survalorisation de l’individu et de ce qui le différencie des autres et de la masse uniformisée que serait la société dans son ensemble. Paradoxalement, le wokisme valorise aussi l’appartenance de ces individus à des communautés raciales, LGBT et associatives construites sur ses idéaux. Ainsi, la multinationale de la grande distribution Walmart rappelle-t-elle, dans son rapport de 2024, rédigé afin d’évaluer les efforts déployés en faveur de sa politique DEI, que sa valeur cardinale est « le respect de l’individu », tout en mettant en relief les statistiques des employés américains à des postes importants selon qu’ils sont noirs, latinos, asiatiques ou bien des femmes, et surtout des femmes non-blanches.

En France, le groupe Carrefour  a lancé un grand chantier de recrutement d’employés issus de « la diversité d’origine » à des hauts postes en allant recruter dans des quartiers connus pour être habités par des populations issues de l’immigration nord-africaine dont Créteil, Saint-Denis et Nanterre. Cette campagne de recrutement ethnique qui ne dit pas son nom s’accompagne évidemment de formations « à la non-discrimination et à la lutte contre les biais inconscients ». Le PDG de Carrefour a déploré, en creux, ne pas pouvoir choisir ses employés selon des critères ethniques, assurant avoir dû faire « avec les moyens que nous autorise la loi française », étant donné que le fichage ethnique est interdit chez nous. Et de conclure : « La loi pourrait être plus facilitatrice ». Comprendre : une loi qui permettrait au groupe de pratiquer une discrimination à l’embauche en choisissant ses collaborateurs selon leur couleur de peau plutôt que leurs compétences réelles.


CAPITALISME WOKE : BLANCHIMENT MORAL FACE À UNE GAUCHE CAPITAL-COMPATIBLE

Mais dans le fond, qu’est-ce qui motive autant d’entreprises, et surtout les grands groupes, à épouser les causes du wokisme ? Dans une tribune du New York Times en 2018, l’auteur et chroniqueur conservateur Ross Douthat interrogeait les motivations profondes de « la montée du capitalisme woke » : les entreprises s’étaient-elles enfin vu dotées d’une conscience, comme le pensaient certains, ou n’y ont-elles vu qu’une occasion de continuer à faire des profits sur des causes en vogue ? Les deux, répond Douthat. Loin de remettre en question leurs pratiques capitalistes, elles adoptent des politiques progressistes tout en continuant de réclamer les politiques fiscales les plus généreuses à leur endroit, ce qui aujourd’hui se traduit d’ailleurs par un rejet du wokisme pour un grand nombre d’entre elles depuis l’accession au pouvoir de Donald Trump, qui avait promis de revenir sur l’augmentation des taxes des entreprises instaurée par Joe Biden. 

L’adoption des politiques DEI se poursuit néanmoins car elle permet aux entreprises de maintenir leur politique de profits tout en se blanchissant moralement auprès des vrais décideurs culturels, soit l’élite woke. Car en dépit de la vague conservatrice qui repousse ses assauts, cette élite bénéficie d’une capacité de mobilisation ancrée dans l’ADN de la gauche. David Azerrad, professeur de philosophie politique et chercheur à l’université de Hillsdale, avance que la gauche sait se mobiliser aussi bien autour des partis politiques qu’en tant que consommateur : la culture du boycott qui lui est propre et produit des résultats est en revanche étrangère à la droite. Selon une étude parue en 2020, les électeurs du parti Républicain n’accordent en général pas d’importance aux valeurs que soutiennent les entreprises pour lesquelles ils postulent ou dont ils consomment les produits. Le plus souvent, ils adoptent ainsi une position de neutralité face à leurs engagements (mais l’affaire Bud Light démontre que cette attitude est en train de changer). À l’inverse, l’étude souligne que les électeurs Démocrates refusent de tolérer les entreprises qui fonctionnent à contre-courant de leurs valeurs et assument de se positionner pour le boycott.

C’est probablement la raison pour laquelle la droite a si longtemps été dominée par une gauche hégémonique qui a su infiltrer tous les domaines de la société au-delà du parti Démocrate. Comme en France, la mondialisation et la désindustrialisation ont rebattu les cartes de la viabilité économique aux États-Unis : la culture et le divertissement sont devenus les principaux terrains d’assaut de la propagande woke dans une société qui dépend maintenant de la consommation, à laquelle les électeurs de gauche participent tout autant que les autres. Les grandes entreprises et les médias prennent ainsi peu de risques à soutenir des causes progressistes là où, à l’inverse, elles ne se risqueraient pas à soutenir le mouvement pro-vie et le droit à détenir des armes. 

De plus, comme le relève Azerrad, elles sont en partie dirigées par des personnes issues des universités et des grandes écoles politiquement acquises aux idées de la gauche woke. Et cette élite décide de ce que doit être la société. C’est ce que la directrice de France Télévisions, Delphine Ernotte, avoue lorsqu’elle assume, au nom du groupe, vouloir « représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit ». Ce positionnement s’inscrit dans l’idée que le citoyen engagé doit être un acteur de la transformation de la société et qu’il ne faut ainsi pas hésiter, selon les termes du PDG de BlackRock Larry Fink, à « forcer les comportements » sur le genre ou la question raciale en entreprise. 


Ainsi la multinationale française Danone écrit-elle sur son site internet : « Nous nous engageons à créer un environnement diversifié, égalitaire et inclusif, où chacun se sent valorisé et respecté. La diversité, l'équité et l'inclusion (DEI) sont au cœur de notre histoire, et notre engagement en tant que Société à Mission avec notre feuille de route RSE “Danone Impact Journey” en est la preuve. Notre objectif est de construire le succès de l'entreprise en nous appuyant sur le progrès social, incarnant ainsi un acteur du changement. La DEI fait partie de nos valeurs et de nos convictions fondamentales ». Tout comme le groupe Carrefour, c’est dans cette continuité qu’elle dispense des formations destinées à éradiquer les « biais inconscients » de ses collaborateurs et employés, se donnant pour mission de les redresser moralement : « Nous proposons pour cela une formation sur les biais inconscients afin de sensibiliser et d'atténuer les préjugés. Une formation obligatoire sur la lutte contre le harcèlement et la discrimination est aussi assurée pour garantir un environnement sûr et inclusif pour tous ». L’entreprise se vante d’être dotée du label « société à mission », qui a été introduit dans le droit des sociétés françaises par la loi Pacte en 2019. Reprenant un concept d’entreprise sans surprise originaire des États-Unis datant de 2010, la « benefit corporation », le label est accordé à des entreprises qui se donnent l’objectif de promouvoir des causes sociétales ou environnementales en parallèle de la recherche de profits. Et pourtant, en 2020, la même année de son adoption du label, Danone a été contraint par ses actionnaires de supprimer entre 1500 et 2000 emplois. Preuve s’il en fallait que la finalité économique des entreprises l’emporte encore sur les considérations sociales avec lesquelles elles tentent de polir leur image.


S’il existe des acteurs convaincus du bien-fondé de leur activisme en entreprise, on ne peut ainsi nier la dimension performative de ces politiques, qui font l’objet de grandes campagnes de communication, et dont l’objectif est de trouver écho auprès d’une gauche « agnostique » face au capitalisme, telle que la décrit Azerrad : la gauche woke, peu soucieuse de dénoncer le capitalisme comme la gauche historique a pu le faire, s’accommode en réalité fort bien du Grand Capital à partir du moment où les entreprises professent leur engagement politique progressiste à travers des spots publicitaires et des communiqués de presse.


PARTENARIATS AVEC LES MILITANTS ET LABELS ENGAGÉS

Pour construire leurs politiques et élaborer leur marketing DEI, les entreprises n’hésitent pas à s’associer à des associations ou des organismes militants, tels que la Human Rights Campaign (HRC), le plus grand lobby LGBT américain, qui a créé un « indice d’égalité des entreprises » ayant pour objectif de mesurer l’inclusion des personnes LGBT dans les entreprises. Au total, près de 1200 entreprises sont évaluées avec cet outil. Il sert aussi bien les intérêts des entreprises, dont l’engagement est valorisé dans les médias, que ceux des consommateurs engagés, qui se donnent bonne conscience en donnant leur argent à des entreprises qui s’alignent sur leurs valeurs.

Parmi les nombreux critères d’évaluation figurent la participation des entreprises aux célébrations de la Marche des Fiertés, le versement de dons à des associations de défense LGBT et la défense de lois soutenues par ces associations. Le géant Apple se distingue dans ce domaine avec des publicités célébrant la diversité ou encore en commercialisant une collection « Pride » aux couleurs de l’arc-en-ciel : « Le nouveau bracelet Boucle unique tressée Pride Edition évoque la force et la beauté des communautés LGBTQ+ à travers un design fluo débordant d’énergie, inspiré de plusieurs drapeaux arc-en-ciel. L’inscription “PRIDE 2024” est gravée au laser sur son attache. Le noir et le marron symbolisent les communautés noire, hispanique et latinx, ainsi que les personnes touchées par le VIH/SIDA, tandis que le rose, le bleu clair et le blanc représentent les personnes transgenres et non binaires. » L’entreprise ne se gêne pas pour rappeler qu’elle collabore avec « de nombreuses autres associations de défense des droits LGBTQ+, comme Encircle, Equality North Carolina, Equality Texas, GLSEN, Equality Federation, le National Center for Transgender Equality, PFLAG, SMYAL et The Trevor Project ».

L’entreprise de distribution Amazon, épinglée maintes fois pour ses conditions de travail abusives, n’est pas en reste quand il s’agit de redorer son blason avec du marketing engagé. Déjà en 2012, son PDG Jeff Bezos soutenait la campagne pour la loi autorisant le mariage homosexuel à hauteur de 2,5 millions de dollars. Puis, en 2019, plusieurs Républicains ont fait remarquer que le livre When Harry Became Sally, qui critique le concept de l’identité de genre, n’était plus disponible à la vente sur sa plateforme. En réponse, l’entreprise a publié une lettre dans laquelle elle expliquait s’engager à cesser de commercialiser les livres qui « dépeignent les identités LGBT comme des maladies mentales ». La HRC lui donne un score de 100% depuis plusieurs années. Mais, signe que le vent tourne aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump, le 5 février 2025, Amazon annonçait dans une nouvelle lettre remettre le titre en vente après avoir « réévalué » sa position. La HRC pourrait bien alors revoir la sienne.

En France, l’association L’Autre Cercle est le grand garant de l’inclusion LGBT dans les entreprises. L’établissement public France Travail a lui-même signé sa charte d’engagement LGBT+ le 26 janvier 2023. Dans son communiqué, la structure déroule la ligne de conduite suivante : « Cette signature marque le point de départ d’un plan d’action visant à ce que chaque agent, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre, se sente à sa place au sein de France Travail, soit protégé en cas de comportement discriminatoire et puisse faire valoir ses droits sans crainte d’être stigmatisé. En premier lieu, ce plan se déploiera en des actions de sensibilisation, un outillage de la ligne managériale, un audit des process liés aux ressources humaines, des communications régulières de nos engagements, et la promotion claire d’une ligne ferme contre tous (sic) propos et comportements hostiles. » Ces mots sévères prêteraient à sourire si la structure n’était pas connue depuis des années pour l’extrême mal-être de ses employés, qui a parfois débouché sur des suicides.

L’Autre Cercle dispense des formations focalisées sur l’acceptation des personnes LGBT en entreprise, tout en admettant que l’homosexualité est aujourd’hui largement acceptée et que son action concerne surtout les questions du transgenrisme et des pronoms à adopter pour s’adresser aux personnes qui se disent non-binaires : « Pour les lesbiennes, gays, bi, il n’y a plus vraiment de sujet. Où il y a encore besoin de pédagogie, d’explications pour que vraiment les choses se passent bien, c’est pour les personnes trans et pour les personnes non-binaires. Il peut y avoir des maladresses de certaines personnes, de mégenrage, pas forcément voulu… Mais du coup, notre travail, c’est d’essayer de faire en sorte que justement ces maladresses n’existent pas ». Des maladresses qui, dans les pays anglo-saxons, peuvent faire perdre leur emploi aux récalcitrants.

Autre label d’engagement inclusif, le label RSEi, créé en 2020 en partenariat entre la Fédération des Entreprises d’Insertion et l’AFNOR, est une déclinaison du Label Engagé RSE, lui-même issu de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). À la différence des critères ESG, qui influencent les marchés financiers, la RSE désigne l’engagement volontaire d’une entreprise pour intégrer des préoccupations d’ordre social, environnemental, économique et éthique dans ses activités. La RSE est une démarche orientée vers la stratégie interne et, en cela, n’est pas un synonyme des critères ESG, même s’il existe évidemment une porosité entre les deux, alimentée par les injonctions de la pensée woke. Le label RSEi tel que défini par l’AFNOR a pour objectif de désigner des entreprises qui souhaitent être reconnues pour leurs efforts d’inclusion sociale des « personnes vulnérables (...) sur le marché de l’emploi ». Il est une sous-catégorie du Label Engagé RSE (délivré aux entreprises qui s’engagent pour le climat) spécifiquement focalisé sur l’inclusion sociale. Le label pourra se voir récompensé par un label parapluie, européen cette fois, Responsibility Europe, créé en 2021, dont l’objectif est de fédérer et de valoriser les entreprises responsables et inclusives à l’international. Autant de machins dont l’utilité réelle reste à démontrer.

Car dans les faits, le label RSEi en France ne semble être rien d’autre chose qu’une mesure cosmétique de faire-valoir pour les entreprises qui en sont récompensées dans le cadre d’une procédure lourde. En 2022, l’entreprise d’insertion aux missions sociales Demain a été la première à recevoir le précieux sésame de niveau 4, c’est-à-dire « exemplaire », pour une mission dans laquelle l’entreprise dit être impliquée depuis 2002 : « [...] En soit, nous avons toujours fait de la RSE sans le savoir. Notre groupe est né comme ça, avec la volonté de toujours faire participer les salariés. » Le RSEi n’a donc pour vocation que de récompenser une démarche RSE déjà existante. Sa création dans le cadre d’un contexte médiatique et politique obsédé par « l’inclusion » ne peut que poser question.


Afin d’identifier à quel degré les entreprises épousent l’idéologie woke et par quels moyens, l’Observatoire du wokisme, issu de l’association étudiante de droite UNI en 2020, a créé un index du wokisme en entreprise avec des fiches sourcées. Un travail de transparence salutaire car, loin de s’inscrire dans un pur mouvement de progrès social, les entreprises qui adhèrent au wokisme prennent des décisions motivées à la fois par des enjeux financiers, politiques et culturels, qui ne sauraient être encensées sans discernement. De même, lorsque ces initiatives s’inscrivent dans une démarche sincère d’intégration et de bien-être au travail, on voudra garder en tête que l’enfer est pavé de bonnes intentions et qu’on ne favorise pas la cohésion et la paix sociales en prétendant ré-éduquer moralement des pans entiers de la population. Or, c’est précisément l’objectif du wokisme en entreprise.

Suivant
Suivant

Témoignages de « rééduqués »